Si son retour sur les prés se précise, neuf mois se sont écoulés depuis sa grave blessure lors du dernier Tournoi des 6 Nations. Antoine Dupont a dû subir une seconde opération après une rupture du ligament croisé antérieur au genou droit.
Cette blessure, fréquente chez les sportifs, et de plus en plus courante ces dernières années, n’a pas épargné le meilleur joueur du monde 2021. Face à cette nouvelle épreuve, on l’a vu s’éloigner des terrains… pour se rapprocher d’une tout autre sphère.
En neuf mois, il est devenu bien plus qu’un simple joueur de rugby. Tapis rouges, shootings photo et présence médiatique accrue, ces apparitions ont souvent fait la une des tabloïds.
Une transformation qui peut surprendre, voire déranger, mais pour Cédric Estivalet, coach professionnel certifié et expert en préparation mentale, c’est un signe positif.
Celui qui accompagne autant des sportifs que des chefs d’entreprise identifie même cet aspect comme l’un des 5 axes essentiels de la préparation mentale d’Antoine Dupont avant son retour à la compétition.
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"Le tip là-dessus c'est d'apprendre à se reconcentrer sur soi"
Pour Cédric Estivalet, le point numéro un et celui qui paraît le plus évident, concerne la gestion de la pression qui entoure Antoine Dupont. Pour y faire face, le préparateur mental évoque des méthodes bien précises.
"Le tip, là-dessus, c’est d’apprendre à se recentrer sur soi, à être bien ancré, et à rester dans l’instant présent pour se déconnecter au maximum de tout ce qui vient de l’extérieur".
"Pour certains, c’est quelque chose de naturel. Pour d’autres, cela demande un vrai travail. Ça peut passer par des techniques de respiration ou d’ancrage, pour se concentrer pleinement sur l’instant présent. L’ancrage, c’est respirer profondément, se sentir ici et maintenant, et se couper de toute cette pollution mentale et de tout ce bruit extérieur".
"Par exemple, la méditation, comme le fait Thomas Ramos, est un outil très utilisé par les sportifs. Je ne sais pas si Antoine Dupont le fait déjà, mais en tout cas, c’est clairement quelque chose qui pourrait l’aider. La méditation apprend à se déconnecter de tout ce qui nous pollue autour. Et pour moi, c’est le premier point essentiel dans son retour".
🎥 Dans la routine du buteur 👀
— Six Nations (FR) (@SixNations_FR) March 12, 2025
Thomas Ramos ne laisse rien au hasard ✨#SixNationsRugby pic.twitter.com/i10r4HIuaz
"L'humain génère 60 000 pensées par jour, et souvent, elles sont subies"
Si l’axe principal reste d’être le plus hermétique possible à la pression, Antoine Dupont doit aussi faire confiance à ses qualités. Cédric Estivalet rappelle que les appréhensions et les pensées parasites peuvent parfois devenir un vrai frein à la performance. Sur ce terrain-là, le capitaine du XV de France devra faire front et éviter de ruminer.
"Après une blessure grave comme celle-ci, tu peux avoir peur de te refaire mal, peur de ne pas être au niveau, etc. Toutes ces peurs-là peuvent freiner la progression. C’est un sujet majeur en préparation mentale : prendre soin de son discours interne. L’humain génère 60 000 pensées par jour, et souvent, on les subit. Si on commence à accumuler du stress ou à nourrir des pensées négatives, on finit par subir nos émotions".
"L’idée, c’est justement de reprendre un peu le contrôle. Prendre du recul, observer ces pensées et analyser si elles sont utiles ou non pour le sportif. Cela peut passer par la mise en place de routines, par des phrases ou des repères qui font du bien, qui rassurent, qui redonnent de la confiance".
Happiness Therapy 🏆
— 𝗔𝗻𝘁𝗼𝗶𝗻𝗲 𝗗𝗨𝗣𝗢𝗡𝗧 (@Dupont9A) March 16, 2025
Tellement fier de ce groupe 💪🏼
Merci à tous pour vos messages, la confiance et le soutien inconditionnel. pic.twitter.com/sfJTdoIhMg
Fixer des objectifs pour franchir facilement des paliers
En préparation mentale, l’un des aspects essentiels est de matérialiser ce que l’on fait. Se fixer des objectifs concrets permet de mesurer sa progression. Selon Cédric Estivalet, c’est justement l’un des points majeurs sur lesquels Antoine Dupont devra s’appuyer. Avec son regard extérieur, il insiste sur cette étape incontournable, qui n’a certainement pas échappé à ses coachs en club.
"Pour réussir un retour, il faut passer d’un point A, qui correspond à ma situation actuelle, à un point B, qui représente la situation que je souhaite atteindre. Le point A, c’est : aujourd’hui, je vais rejouer un match, mais cela fait neuf mois que je n’ai pas joué, donc il y aura forcément des incertitudes. Alors, le point B pourrait être d’atteindre mon plein potentiel lors du prochain Tournoi des 6 Nations".
"Pour y parvenir, il est important d’avancer par étapes et de se fixer des objectifs précis. Par exemple, une première étape pourrait être de jouer 30 à 40 minutes sans ressentir de douleur. Une fois ce step franchi, la suivante pourrait être de retrouver 90 % de ma vitesse en trois semaines. Bien sûr, ce ne sont que des exemples, car je ne connais pas son processus exact de préparation mentale".
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"Mine de rien, ça fait huit mois qu'il n'a pas fait de jeux de haut niveau."
Beaucoup pensent à tort que la préparation mentale est un compartiment séparée de la préparation physique. Pour un joueur de haut niveau comme Antoine Dupont, ces deux axes sont essentiels pour progresser. Une étude de Baltic Sport Science indique que jusqu’à 35 % de la performance d’un athlète peut être boostée grâce à des méthodes de préparation mentale.
Attention cependant, ce gain n’est pleinement efficace que lorsque l’athlète est au sommet de sa forme. Et Cedric Estivalet le confirme, la condition physique s'affirmera match après match.
"Mine de rien, ça fait huit mois qu’il n’a pas réellement joué à haut niveau. Donc même s’il s’est entraîné avec son club, il a forcément perdu certains automatismes. Je pense qu’il a dû faire des simulations de match à l’entraînement pour travailler des séquences de haute intensité, des situations sous pression, des moments où il faut prendre des décisions très rapidement. Mais la réalité du jeu de haut niveau, c’est encore un cran au-dessus de ce qu’on peut reproduire à l’entraînement. Il va donc devoir retrouver ces repères qu’il n’a pas pu exploiter pendant tout ce temps, match après match".
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Ne pas négliger la préparation mentale
Cela paraît être devenu le B.A.-BA, mais à ce niveau, rien ne doit être laissé au hasard, surtout quand il s’agit du conditionnement et du suivi de la santé mentale des joueurs. Pour Cédric Estivalet, c’est un processus transversal, qui ne doit pas apparaître uniquement lorsqu’il faut faire face à un coup dur. La santé mentale se construit sur le long terme.
"C’est quelque chose qui me paraît ultra-important, mais il faut bien comprendre que la préparation mentale est un processus continu. Ce n’est pas quand tout va mal qu’on commence à s’y intéresser. Dans ces clubs-là, les joueurs sont accompagnés et conscients de ces enjeux".
"Cela peut justement se traduire par la capacité à transformer une épreuve en opportunité. Dès le premier jour de blessure, on peut travailler sur des techniques de visualisation, sur la fixation d’objectifs, afin d’accélérer la convalescence et de la rendre moins anxiogène pour le sportif".
La surmédiatisation d'Antoine Dupont : pas un problème pour Cédric Estivalet
On l’a vu au bras d’Iris Mittenaere à Roland-Garros, ou aux côtés de Victor Wembanyama lors de la Fashion Week de Paris… Bref, l’enfant de Castelnau-Magnoac a bien grandi et s’est frayé un chemin dans les cercles mondains de la capitale. Pas vraiment du goût d’une partie du milieu du rugby, parfois un peu réfractaire, car la star du XV de France a essuyé son lot de critiques.
Pourtant, interrogé sur ce point, Cédric Estivalet livre une réponse pleine de bon sens. Selon lui, penser que changer ses habitudes lors d’une blessure est une erreur relève d’une vision dépassée. Bien au contraire, c’est souvent le moment idéal pour se réinventer et trouver un nouvel équilibre.
"Le basketteur Victor Wembanyama avait fait une retraite spirituelle en Chine, et j’ai trouvé ça super inspirant : il a profité de ce moment pour prendre du recul et explorer des pistes qu’il n’avait jamais pu tester auparavant. C’est important de se demander en quoi ce moment-là peut devenir une véritable opportunité".
"Je pense que sa force, justement, c’est d’oser tester autre chose, d’aller explorer. Le risque, évidemment, c’est d’être critiqué. Mais comme on le dit souvent : dès qu’on fait quelque chose de différent, on est critiqué".
"Donc il faut se faire confiance. Au contraire, c’est une bonne chose d’aller voir ailleurs, de tester d’autres pistes. Ça montre une vraie ouverture d’esprit, et ça, c’est la marque d’un mental solide. Et encore une fois : plus tard, ceux qui critiquaient seront les premiers à dire que c’était du génie".

