World Rugby doit-il changer la règle de l’arbitrage vidéo et se rapprocher du football ?
La vidéo au rugby expliqué par Joël Jutge.
Joël Jutge nous explique sa vision de l’arbitrage vidéo : être Précis ou prendre seulement le clair et l’évident ?

Deux mots reviennent souvent dans les bouches des arbitres de rugby : Clair et Evident. Il est demandé aux arbitres de haut niveau de ne sanctionner que les fautes claires et évidentes mais le même discours est-il tenu aux arbitres vidéo ? Nous avons interrogé Joël Jutge, ancien directeur de l’arbitrage à World Rugby, désormais aux manettes des arbitres d’EPCR et dans le comité de sélection des meilleurs arbitres mondiaux (notamment à la Coupe du Monde).

“Quand l’arbitrage vidéo est apparu dans le rugby, nous sommes partis sur le même principe du “Clair et Evident”. On ne voulait pas voir une passe en-avant grossière qui fait basculer un match. Pour faire le parallèle avec le football, l’arbitrage vidéo a été installé pour éviter une action comme la main de Maradona”.

L’ancien meilleur arbitre français insiste sur la différence entre le MICRO et le MACRO. Au début l’arbitrage vidéo ne s’intéressait qu’au MACRO mais les réalisateurs TV ont provoqué un changement difficilement révocable. Les multiples ralentis proposés aux téléspectateurs ont fait basculer les protocoles avec le MICRO devenu MACRO. L’arbitre vidéo va désormais chercher les petits détails”. En conclusion, l’arbitre vidéo est passé du "clair et évident" à la précision. Les protocoles d’arbitrage vidéo ont donc changé au fur et à mesure que les images TV se sont améliorés… contre la volonté des arbitres.

L’exemple le plus criant est la 46’ min de la demi-finale de Coupe du Monde entre l’Angleterre et la Nouvelle-Zélande  où la main de Rettalick intervient dans le maul. Rien de clair et évident sur l’en-avant pourtant Nigel Owens refusera l’essai anglais. Voici de l’arbitrage MICRO.

"On ne peut pas lutter contre le réalisateur"

On se souvient du pavé dans la mare jeté par Fred Godard dans Télérama : quand l'arbitre vidéo revoit une séquence, c'est moi qui lui propose différents angles. Est-ce que parfois, je peux oublier un axe ? Il faut que je fasse attention... (sourire) Un Anglais supporte les Anglais, un Français supporte les Français... Il m'est arrivé, en Coupe d'Europe, de ne pas montrer un coup donné par un joueur de Castres dans une mêlée. Le joueur aurait pu être expulsé. [...] L'arbitre m'a demandé l'image... Ah ! Je ne l'avais pas. Si j'avais été anglais, je l'aurais eue. Sur un autre match, à Toulon, j'ai pu considérer qu'un essai était valable dans l'esprit. J'ai peut-être oublié un angle, c'est possible... [...] Mais bon, on essaie d'être objectif parce que maintenant on est observés. Il y a quinze ans, c'était plus libre. Alors comment lutter contre ce risque ? Joël Jutge répond : "on ne peut pas lutter contre le réalisateur. La solution trouvée à l’heure actuelle est le système Hawk Eye qui permet à l’arbitre vidéo d’être beaucoup plus indépendant. Mais son coût est très élevé et donc réservé aux grandes compétitions comme la Coupe du Monde".

Le jeu déloyal métamorphosé par l’arbitrage vidéo 

Joël Jutge regrette la situation : "le tri n’est plus fait au niveau du jeu déloyal. Il existe des situations qui ne sont pas dangereuses (un bras au dessus de l’épaule et l’autre qui enserre la taille de l’adversaire) mais que les arbitres ne peuvent plus occulter". Rappelons que l’arbitrage est l’art de trier entre les fautes vénielles (laisser jouer) et les fautes avec impact sur le jeu. La télévision a transformé ce tri. (Steve Hansen...), des joueurs célèbres (Alun Win-Jones…) ou encore des membres de l’arbitrage. C’est donc cette commission des règles qui propose des changements de règles ou de directives pour coller à la vision du rugby de l’institution mondiale. La commission des règles pense qu’il est préférable que l’arbitre vidéo colle à la règle et soit très précis quand les images le permettent.

Le football s’est il inspiré des protocoles du rugby ?

Il faut comprendre que l’arbitrage n’est pas régi par des process mathématiques, nous avons donc besoin d’hommes pour juger”. Les cousins du football se sont mis à l’arbitrage vidéo 10 bonnes années après le rugby mais il se pose les mêmes questions. Tom Bennett, docteur en droit de la City University of London (City Law School) pense que la grogne des supporters de foot est causée par le fait que les instances sont incapables de définir ce qu’est une erreur “claire et évidente”.

 Selon les lois du football définies par l’International Football Association Board (IFAB), l’intervention de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) ne peut avoir lieu que si les images montrent que la décision prise par l’arbitre de champ dans une situation donnée constitue une erreur « claire et évidente ».

Tom Bennett : “Nous sommes, par exemple, amenés à nous demander s’il y a une différence entre une erreur « claire » et une erreur « évidente », sans qu’aucune réponse à cette question n’existe.“

Le tableau de l’arbitrage vidéo n’est pas tout noir bien évidemment car "la vidéo a supprimé une bonne partie des problèmes de violence sur les terrains de haut niveau". 

Qui décide des protocoles de l’arbitrage vidéo ? 

Les stake holders de World Rugby. Mais qu’est ce que ce gros mot ? C’est un comité composé de plusieurs parties prenantes du rugby mondial qui représentent notre sport. On y retrouve des personnalités du banc de touche

Incident objectif ou incident subjectif

Les arbitres de Premier League anglaise de football ont séparé deux sortes d’incidents :

  • Incident objectif : faute qui peut être jugé (ou rejugé) sur des critères rigoureux tels qu’une situation de hors-jeu
  • Incident subjectif : à l’inverse du précédent, c’est une faute imposant un critère beaucoup plus souple. Les voisins anglais aiment rappeler le concept de "principe de Wednesbury", selon lequel seules les décisions qui sont « si déraisonnables qu’aucune personne raisonnable n’aurait pu les prendre » sont infirmées) pour changer raisonnablement la décision de l’arbitre en direct.

Mais les instances fédérales tâtonnent

Le football se pose actuellement beaucoup de questions sur la VAR. Aleksandr Ceferin, historiquement contre la VAR, pense même que ‘il faut mettre de la subjectif dans les décisions qui se vérifient pourtant concrètement tel le hors-jeu. Une déclaration qui mesure à quel point il va être difficile d’accorder les violons au niveau international. 

Aleksandr Ceferin (président de l’UEFA football dans The Mirror : "Si vous avez un nez un peu trop long, vous êtes en position de hors-jeu ces jours-ci"

L’UEFA réfléchit à admettre une tolérance de 10-20 centimètres sur les situations de Hors-jeu. Une décision qui va amener également son lot de polémique car certains hors-jeu de 20 cm seront oubliés quand d’autres seront sifflés à l’appréciation de l’arbitre. Mettre une fourchette de tolérance amènera son lot de polémiques… sûrement davantage que la vision actuelle.

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  • epa
    38988 points
  • il y a 4 ans

"Mettre une fourchette de tolérance amènera son lot de polémiques… sûrement davantage que la vision actuelle." J'adore (Julien Dupuy)

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