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INTERVIEW. Albert Cigagna : ''Si tu veux être champion de France, il faut jouer avec la même mentalité à chaque match''
Albert Cigagna a joué pour le Stade Toulousain et Castres.
Le match entre Castres et le Stade Toulousain est considéré comme une forte rivalité dans le Sud-Ouest. Albert Cigagna, nous parle de son lien aux deux clubs.

Ancien capitaine du Stade Toulousain, Albert Cigagna s’est forgé une renommée dans la ville Rose. Durant ses 14 années au Stade Toulousain, il glane 5 boucliers de Brennus et se forge une réputation de troisième ligne intelligent et habile. Passé par Castres, en toute fin de carrière, il continue de baigner dans le domaine du sport. Actuellement co-directeur de la Ligue de Sport Universitaire d’Occitanie, il maintient un lien entre sport et apprentissage. Aujourd’hui, il évoque la rencontre qui oppose ces deux anciennes formations, mais aussi de son rapport à la formation et au rugby actuel.

Pour commencer, suivez-vous toujours le rugby ?

Quand j’ai le temps oui, mais ce n’est pas ma priorité. J’ai suivi le Tournoi et la Coupe d’Europe. Je regarde les matchs que je trouve attirants et qui me plaisent sur le papier. Je choisis un peu ce que je regarde. D’autant plus que les conditions actuelles rendent les rencontres très tristes. Je plains vraiment les joueurs, l’absence de public doit être très compliquée pour eux.

En tant qu’ancienne gloire du Stade Toulousain que pensez-vous de la génération actuelle ? Y a-t-il un joueur qui ressort plus qu’un autre, un que vous aimez en particulier ?

Il y en a plein que j’aime bien. C’est vraiment une très bonne génération. Devant, c'est solide, la charnière est de qualité et derrière ça joue vite. J’aime beaucoup Julien Marchand et François Cros en particulier. Le premier est un leader naturel, il est en train de devenir une référence européenne et mondiale à son poste. Le second est indispensable au groupe selon moi, c’est un joueur efficace et intelligent. En plus avec des joueurs comme Dupont, Ntamack, Lebel et Kolbe tout peut aller très vite. Ils ont les moyens de déstabiliser une défense et de faire jouer derrière eux assez facilement. Cependant, tout cela n’est bon qu’à partir du moment où le collectif est de bonne qualité. De toute manière, rien n’est jamais au-dessus du collectif.

Cette génération a-t-elle les moyens de marquer l’histoire du Stade Toulousain, au même titre que la vôtre ou que celle de Servat, Jauzion, Poitrenaud ?

Oui, bien sûr et ils sont déjà en train de le faire de toute manière. Actuellement, en France aucune équipe n’est plus proche des deux titres (Champions Cup et Top 14). Ça sera loin d’être facile contre l’UBB en demi-finale mais ils ont montré qu’ils pouvaient le faire. Ils sont capables à la fois de sécuriser un match, comme contre Clermont, et de l’enflammer. Ils sont arrivés à maturité. Même si ça peut sembler arrogant de dire ça, car au sport de haut niveau, il ne faut jamais se contenter de ce qu’on a. Il faut constamment viser plus haut.

Vous avez aussi joué à Castres, que retenez-vous de votre saison au Castres Olympique ?

Ça a été très difficile. Je pense qu’on peut dire que ça a été un échec. On a même été virés pour dire. La tactique et la philosophie ne collaient pas à ce que l’on espérait en arrivant. C’était très restrictif. Avec Christian Déléris et Jean-Marc Foucras, on a voulu amener un autre style de jeu. Ça n'a pas marché. Après ça fait partie intégrante du sport, quand tu réussis, c'est super, mais quand tu échoues, tu vas voir ailleurs. De toute manière, c’était une autre époque. Aujourd’hui, le Castres Olympique n’a plus rien à voir avec ça.

Juste avant de rejoindre le CO vous avez gagné le Brennus en 1995 avec le Stade Toulousain en affrontant votre future équipe en finale. Que retenez-vous de cette rencontre gagnée 31 à 16 par les rouges et noirs ?

C’était une finale très rude, compliquée et il n’y avait pas eu de grandes envolées durant le match. On était mené à la mi-temps. Christophe Deylaud avait été très performant au pied ce jour-là (NDLR : 26 points sur les 31 inscrits). On avait concentré le jeu sur les avants. On s’adaptait en fonction des temps faibles des Castrais.

Pourquoi avoir rejoint Castres par la suite ?

J’avais envie de connaître autre chose. L’opportunité s’est présentée et j’ai décidé d’y aller. D’autant plus que je voulais travailler avec Christian Déléris et que nous avions cette possibilité d’aller ensemble au CO. J’avais fait le tour de la question à Toulouse.

Avez-vous un souvenir/une anecdote particulière d'une rencontre entre Toulouse et Castres ?

Je me rappelle que lorsque j’ai rejoint Castres, c’était assez particulier de jouer contre mes anciens coéquipiers. On s’était croisés en Challenge Yves du Manoir. Sincèrement, affronter ceux avec qui tu as joué pendant des années, c’est une sensation étrange.

Comment vivait-on un match comme celui-là quand vous étiez joueur ? Appelait-on déjà ça un derby ou la présence d'équipes plus proches géographiquement comme Colomiers pour Toulouse ou Albi pour Castres rendait la rencontre moins clinquante ?

A mon niveau, cette notion de Derby est vraiment futile. Un match de haut niveau, c'est un match de haut niveau. Ni plus, ni moins. Si tu veux être Champion de France, il faut jouer avec la même mentalité à chaque match. Je pense que c’est surtout quelque chose que les médias utilisent pour créer un évènement. Ça se voit avec la création de nouvelles affiches. On parle du derby de la Garonne entre Agen et Toulouse, le Classico entre le Stade Français et le Stade Toulousain. Même au foot, on crée une rivalité entre les Girondins de Bordeaux et le TFC. Mais au final peu importe le match, je pense que les joueurs se focalisent juste sur le fait de gagner et pas sur une soi-disant rivalité. Et ça peu importe dans quels clubs ils jouent.

Parlons de la formation, que pensez-vous de cette dernière actuellement et de la manière dont elle gère les jeunes joueurs de rugby ?

Pendant un moment, et je l’avais dit, je n’étais pas un grand fan de la manière dont l’on formait en France. On formait les joueurs à devenir des machines du haut niveau. Pouvoir faire des différences, c'est génial. Mais si c’est pour mettre tout le monde dans la merde derrière… Maintenant j’ai l’impression que ça dépend des politiques propres à chaque centre de formation. Certains ont remis en avant l’individuel au service du collectif et pour moi, c'est la base de ce que l’on doit apprendre au jeune. Si tu es capable de faire des bonnes choses sur un terrain individuellement, ce n’est utile que si tes coéquipiers peuvent te suivre derrière et sont sur la même longueur d’onde.

Il y a un fort contraste entre Toulouse et Castres dans ce domaine selon les rapports officiels. Les classements établies par une commission liant FFR et LNR mettent régulièrement Toulouse parmi les premiers et Castres en fin de classement. Est-ce que ce sont deux visions différentes du rugby qui s'affrontent ?

Je ne pense pas qu’on ait besoin d’opposer les deux. De manière générale en France on a passé un cap selon moi. Chaque club y donne du sien au niveau de la formation. Il suffit de voir la qualité de nos jeunes, avec des joueurs issus de beaucoup de clubs différents.

Le Castres Olympique doit-il plus s’axer sur sa formation ?

Le problème pour moi ne vient pas de là. Castres forme de très bons joueurs et je ne pense pas que son centre de formation soit défaillant. Seulement, lorsqu’on propose à un jeune joueur de choisir entre le Castres Olympique et le Stade Toulousain, il préférera souvent Toulouse. Le club est plus titré et a une plus grande renommée, donc je pense que ça se joue sur ça. D’autant plus que cette tendance est très compliquée à inverser. C’est dommage pour le CO mais ça reste le choix du joueur qui prime.

Selon vous, peut-on donc dire que Castres se fait aspirer ces talents sans avoir de réel moyen de les conserver ?

Oui, c’est ça. Même si, selon moi, ce qui ne transparaît pas dans ce classement, c'est la qualité réelle de la formation. Sortir beaucoup de bons joueurs ne veut pas forcément dire qu’ils sont bien formés pour affronter la vie en général. Par exemple, le Castres Olympique a une superbe philosophie sur ce que l’on appelle la double formation. Il privilégie un accompagnement poussé au niveau des études et des diplômes. Faire une bonne formation ce n’est pas uniquement produire des joueurs performants et ça je ne sais pas si les jeunes en ont forcément conscience. Toute la difficulté réside là.

Vous parliez de la renommée et des titres, Castres et Toulouse sont les deux seules équipes à avoir été championnes à plusieurs reprises sur ces 10 dernières années (2011-2021). Pour quelles raisons selon vous ?

Je ne pense pas qu’il y ait une raison particulière. Par exemple, sur le dernier titre de Castres, on ne peut pas dire que ça reflète vraiment ce qu’ils avaient proposé au cours de la saison. Il se qualifie de justesse en phase finale. Pour moi le CO est bien plus méritant lorsqu’il gagne son titre en 2013, sachant qu’ils font deux finales d’affilée. Alors que pour le Stade Toulousain, sur la dernière décennie, chaque titre reflète une domination sur l’intégralité de la saison selon moi.

Que pensez-vous du fait que beaucoup d’équipes différentes gagnent le championnat depuis son passage à 14 équipes en 2005-2006 ? Cela montre une belle compétitivité ou une instabilité des équipes dans le championnat ? (NDLR : 8 champions différents entre 2006 et 2019)

Ça montre surtout une compétitivité de très haut niveau entre environ 7 équipes sur les 3-4 dernières années. Ensuite il y a un ventre mou, avec des équipes toujours capables de performances mais qui reste un cran en dessous selon moi. Puis il y a un petit nombre d’équipes qui luttent pour la relégation. La véritable instabilité qui risque de se faire sentir est celle qui concerne les retombées de la crise sanitaire. Celle-là risque d’impacter un bon nombre d’équipes.

La présence de ce ventre mou peut-il justifier de passer à un Top 12 ? Dans le but d’augmenter la compétitivité et de réduire le nombre de matchs par saison ?

Le problème c’est qu’il y a le secteur sportif et économique à gérer. D’un point de vue sportif, ça serait vraiment intéressant de réduire le nombre d’équipes en première division. En plus de ça, les joueurs auraient plus de temps de repos et on éviterait sûrement les doublons. Par contre d’un point de vue économique ça serait très compliqué. Avec l’absence de recettes liées à la billetterie pendant plus d’un an, une descente forcée en deuxième division pourrait réellement mettre à mal certaines structures. Les Anglais comptent faire plusieurs modifications à ce sujet. Mais pour moi avec la Covid, le minimum c’est de rester au stade où l’on est actuellement. On avisera une fois que tout sera revenu à un contexte normal.

Vous parlez de l’Angleterre, ces derniers espèrent mettre en place une ligue fermée dans les prochaines années. Cela pourrait être viable en France ?

C’est complexe comme question… Je ne pense pas que ça aille avec l’identité du rugby à la française. Bloquer l’accès à la Pro D2 aux équipes amateures ou isoler le Top 14 ça serait peut-être une bonne solution sur le papier. Les équipes et les joueurs seraient peut-être plus libérés pour pratiquer un beau rugby car la pression de la relégation disparaîtrait. Mais moi je trouve que ça ne colle pas à notre rugby. On peut aussi se demander si un Top 14 fermé aurait réellement permis à une équipe comme Agen, par exemple, de produire de meilleures choses cette année. Je n’en suis pas si sûr...

Merci à Erwan Harzic pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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  • resp
    11365 points
  • il y a 3 ans

Cigagna, un des premiers artisans du " jeu de mains, jeu de Toulousains " 🏈 🏈 🏈

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