RUGBY. PORTRAIT. Nous, rugbymen ukrainiens en temps de guerre
On observe à gauche Anton Shashero, lors d'un match du RK Arka Gdynia, et à droite Andreï Leshchenko, à l'occasion d'une rencontre du RK Podillya de Khmelnytsky.
Andreï Leshchenko et Anton Shashero sont passionnés de rugby. Depuis le 24 février dernier, leur pays, l’Ukraine, est en guerre contre la Russie.

Le 24 février 2022, le chef d’État russe Vladimir Poutine ordonne à ses forces militaires d’envahir l’Ukraine pour “démilitariser et dénazifier” la zone. Cette décision mènera Kiev et sa nation vers une guerre encore inimaginable il y a quelques semaines. Au milieu de l’horreur, les civils sont souvent les premières victimes. De manière directe ou indirecte, ils subissent les foudres d’enjeux qui les dépassent. Pour être solidaire envers la grande famille du rugby, le Rugbynistère vous propose de découvrir le portrait de deux Ukrainiens passionnés par le ballon ovale. L’un est un père de famille, devenu un acteur majeur du jeu local. L’autre, est un jeune joueur parti s’exiler pour vivre ses rêves d’ovalie.

Andreï Leshchenko, 37 ans, Khmelnytsky

Derrière lui, Andreï a plusieurs décennies de rugby. À 15 ans, le jeune homme originaire du sud-ouest de l’Ukraine cherche un “sport de contact avec du combat sur le terrain”. Dans un premier temps, il veut se tourner vers le hockey sur glace. Mais un problème se pose, aucun club n’existe près de chez lui. Il se tourne alors vers l’équipe de rugby locale. À l’époque, cette dernière était entraînée par son père. Une histoire de famille qui commence par les gènes et qui se perpétue par la passion.

Rapidement pris par le jeu et les valeurs de ce sport, Andreï entre dans l’équipe nationale junior d’Ukraine à l'âge de 18 ans. À ce moment-là, seulement trois années sont passées depuis son entrée dans le monde du rugby roi. Peu de temps après, il participe à un événement marquant : la Coupe du Monde U19 (NDLR : la catégorie junior actuelle des U20 est apparue en 2008). Après avoir côtoyé des sélections du monde entier, il intègre la formation du RK Podillya. Situé dans la ville de Khmelnytsky, il défend les couleurs de cette cité de l’ouest de l’Ukraine. Derrière les quelque 300 000 âmes qui peuplent l’agglomération, il décroche même une Coupe d’Ukraine en tant que joueur.

Crédit Photo : DR / source : ye.ua (Cliquez ici pour toute réclamation)

Au bout de quelques années de bons et loyaux services pour défendre le blason de son club, il passe de l’autre côté de la ligne de touche. En 2019, il prend la tête de la ligue régionale locale. Et après un passage sur le banc en tant qu’entraîneur, il devient président du club qui l’a vu grandir. Une écurie qui évoluait en Super League, première division du championnat ukrainien. Aujourd’hui âgé de 37 ans et toujours passionné, il suit aussi le rugby international. Avec une préférence pour le Pays de Galles, il ne rate aucun match du Tournoi des VI Nations. Cependant, actuellement, Andreï confie que “ toutes les compétitions et entraînements de rugby sont annulés”.

Brutal, choquant et inattendu. Un jour, Andreï s’est réveillé. Comme 44 millions d’Ukrainiens ce 24 février dernier, il découvre l’impensable. Il raconte : “J'étais endormi, quand soudain j'ai entendu une alarme dès le matin ! Après avoir lu les nouvelles, j'ai été choqué. Je suis immédiatement allé faire le plein de la voiture, j'ai acheté de la nourriture, j'ai fait mon sac et je me suis préparé à me rendre dans l'abri anti-bombes.”

Crédit photo : ©RK Podillya

Dans cette épreuve, les valeurs du rugby l’ont accompagné. Dès le premier jour, il délivre ce message sur les réseaux sociaux : “Chers amis joueurs de rugby de la rive gauche de l'Ukraine ! Khmelnytskyi vous acceptera, vous installera et vous nourrira comme sa famille !” Chose promise, chose faite. Il accueille deux jours plus tard une famille venue de Kiev et fuyant les bombardements.

Une annonce “tellement importante” selon lui. Pour le père des jeunes Jan, Gleb et Amina âgés respectivement de 10, 6 et 3 ans, impossible d’abandonner ceux fuyant l’horreur. Il dit : “Nous sommes une famille ukrainienne ordinaire. On travaille, on se repose, on élève nos enfants et on profite de la vie. Tout du moins avant cette guerre. [...] Si j'avais des problèmes, j’aimerais aussi qu’on me vienne en aide. Je veux qu'ils comprennent que nous ne sommes pas seuls et que nous allons aider leurs familles !"

Le saviez-vous : le Rugby no Limit, c’est aussi une asso’ !Le saviez-vous : le Rugby no Limit, c’est aussi une asso’ !Situé à 300 km du conflit, Andreï et ses enfants n’ont pas à s’en inquiéter directement. Cependant, il nous affirme que désormais “plus personne ne travaille”, par conséquent les locaux “manquent d’argent”. Dans cette épreuve difficile, il adresse un message aux passionnés du jeu. Il dit :

En ce moment, le rugby m'apporte un grand soutien et une aide dans tous les domaines. Nous formons une famille très sympathique dans toute l'Ukraine. Entre nous, les informations sont rapidement transmises depuis le front. Inversement, elle nous permet de communiquer le nécessaire aux soldats héroïques ! Toute la famille du rugby de Khmelnytsky vient en aide aux rugbymen de tout le pays qui ont besoin d'aide !”

Derrière ce message d’espoir, le père de famille livre aussi sa colère envers l’armée russe. Loin d’être attiré par la guerre, la mort de ses compatriotes ne le laisse pas indifférent. Il dit : “Nous sommes un pays indépendant et libre. Les gens sont heureux de vivre en Ukraine ! Nous sommes très reconnaissants envers les partenaires européens pour leur aide, sans eux, ce serait beaucoup plus difficile pour nous ! Nous gagnerons !” Plusieurs proches d’Andreï habitent à Odessa, dans le sud du pays. Dans les prochains jours, ils pourraient être obligés de fuir.

Anton Shashero, 23 ans, Gdynia (Pologne)

Depuis tout petit, il était tombé dedans. Si le premier portrait raconte l’histoire d’une arrivée plutôt tardive dans le monde du rugby, ce n’est pas le cas d’Anton. Natif de Kiev, son frère l’emmène faire la connaissance du pré dès huit ans. Il est à peine en contact du cuir ovale que son rêve se dessine déjà. Minot, il se dit : “Un jour je serai rugbyman professionnel !”

Talentueux, le joueur se fait vite une place dans le rugby local. En 2017, il est sélectionné parmi les meilleurs jeunes ukrainiens. Pour poursuivre son rêve, il a cependant eu besoin de s’exiler : “J’ai joué dans les équipes nationales de jeunes d'Ukraine, nous avons remporté le Rugby Europe’s Trophy Championship U18 en rugby à Sept 2017. Quand j'ai eu 18 ans, je suis allé jouer en Pologne. Ici, il y a un meilleur championnat qu'en Ukraine.” Quelques années après, il a dévissé le casque qu’il portait à ses débuts. Actuellement au RK Arka Gdynia, il joue dans le championnat polonais depuis plus de 4 ans. L’espoir ukrainien a pris en confiance et veut connaître le plus haut niveau possible.

Crédit photo : ©RK Arka Gdynia

Demi d’ouverture, il aura de la concurrence pour accomplir son objectif : jouer un jour en Top 14. Les yeux plus gros que le ventre ? À quoi bon y penser, les rêves n’ont ni prix, ni limite. Avec un sourire, il ajoute : “Maintenant, c’est là-bas que je veux jouer. Peut-être que bientôt vous m’y verrez !” Par ailleurs, Anton a une petite préférence en ce qui concerne les grands blasons du rugby français. L’ouvreur natif de Kiev nous confie : “Enfant, nous allions dans un camp d'entraînement à Toulon. On jouait avec des équipes locales. Par conséquent, le RCT est mon équipe favorite.” En ce qui concerne son joueur préféré ? Il nous cite l’incontournable Dan Carter et… Sir Jonny Wilkinson. Bien sûr, rien n’est laissé au hasard.

Cependant, si Anton rêve de rugby, c’est le cauchemar qui a encombré son avenir. Exilé en dehors de ses frontières, le joueur a fêté son anniversaire le 21 février dernier. Trois jours après, la guerre éclate. Aux informations, il regardait l’endroit qui l’a vu naître se faire envahir, les rues qu’il arpentait se faire bombarder. Son grand frère, qui lui a transmis la passion du rugby, a dû lâcher le ballon ovale. Il complète : “Mon frère a fait des cocktails Molotov. Il attend les occupants à la maison. Il n'avait pas assez d'armes légères, mais je pense qu'il aura bientôt une mitrailleuse.”

Crédit photo : ©RK Arka Gdynia

Comme une ponctuation, bons nombres d’échanges avec Anton se terminent de la même manière. Des paroles de haine pour l’armée russe et pour ses dirigeants et dans ses messages, les menaces envers ces derniers s’enchaînent. Aujourd’hui, la vie du jeune homme est rythmée par des messages de sa famille. Cette dernière lui confirme qu’ils sont toujours saufs. Présents dans la capitale ukrainienne, ils patientent “dans la maison et courent tout le temps au sous-sol à cause des bombardements.”

Loin des yeux, mais près du cœur, l’expatrié encense son pays. Pour lui, l’Ukraine est avant tout un peuple fier, libre et impossible à soumettre. Il complète : “J'aime mon pays parce que ceux qui l’habitent sont parmi les plus ouverts et gentils. C’est un pays libre de gens libres. Ici, vous trouverez tout : les montagnes, la mer et les belles villes historiques. Kiev, ma ville, a plus de 1000 ans. La Rus’ de Kiev y est née (NDLR : il s’agit de la première nation de l’histoire réunissant les peuples slaves).” Fier de son pays, Anton pourrait lui sacrifier ses ambitions et ses rêves. Il conclut l’échange en nous remerciant et en précisant : “Si la guerre ne se termine pas rapidement, j'irai.”RUGBY. La Russie et la Biélorussie suspendues de toutes compétitions internationales par World RugbyRUGBY. La Russie et la Biélorussie suspendues de toutes compétitions internationales par World Rugby


Sans lien direct avec les personnes rencontrées durant l'écriture de cet article et de sa propre initiative, le Rugbynistère vous propose deux programmes visant à aider le peuple ukrainien dans cette épreuve difficile. Voici deux campagnes vers lesquelles nous vous redirigeons :
  • L'Agence des Nations unies pour les réfugiés, programme de l'ONU qui vient en aide aux réfugiés : Cliquez ici
  • Le Comité international de la Croix Rouge pour venir en aide aux personnes directement en Ukraine : Cliquez ici
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