Au Sénégal, le développement du rugby passe par les jeunes, avec un Français au cœur du projet
Au Sénégal, le développement du rugby passe par les jeunes.
Découvrez la belle aventure de Quentin Didier, qui oeuvre pour le rugby au Sénégal depuis cinq ans, notamment auprès des jeunes.
Si vous êtes un lecteur assidu du Rugbynistère, son nom ne vous est pas inconnu. Quentin2Dakar est l'un de nos plus fidèles lecteurs et si la signification de son pseudo vous a déjà interpellé, elle est toute simple. Depuis cinq ans, cet ancien rugbyman passé par Troyes, le Rugby Club Dijonnais ou Poitiers vit en fait au Sénégal. Mais pour Quentin Didier, son vrai nom, hors de question de délaisser l'ovale. Devenu responsable de la communication et du marketing de la Fédération sénégalaise de rugby, il nous raconte son parcours africain. Et lance un appel à financement solidaire pour l'organisation de tournois de petite catégorie.

Salut Quentin ! On a d'abord envie de te demander comment tu t'es retrouvé au Sénégal...

Au début, j'étais juste de passage. J'arrivais du Maroc via le Sahara occidental et la Mauritanie pour voir une copine de promo. Quand je suis arrivé, il y avait un énorme festival à Dakar. À la fin du mois de décembre 2010, je me suis mis à jouer au rugby avec l'équipe des Caïmans. J'ai voulu finir la saison car ça se passait vachement bien, il y avait une super ambiance, j'avais 24 ans... Chez les Caïmans, j'étais à la fois joueur, entraîneur, médecin, trésorier : beaucoup de responsabilités, ce qui ne m'étais jamais arrivé ! J'ai ensuite trouvé un poste de professeur d'histoire-géo au lycée français, j'ai enchaîné sur une deuxième saison, où je me suis mis à l'arbitrage. « C'est bien beau de gueuler après l'arbitrage, m'a-t-on dit, mais il faut mettre le sifflet pour voir ce que ça donne ». En cours d'année, la fille avec qui j'ai fait des études est devenue la fille avec qui j'ai fait des enfants et je suis resté.

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Et ce poste à la Fédé ?

En 2013, le Sénégal a organisé la Coupe d'Afrique des Nations (1ère division groupe B) et on m'a sollicité pour que je m'occupe de la boutique. Il y avait une personne responsable de la communication avec beaucoup de choses à faire. Et quand elle est partie, c'est moi qui ai continué la mission. Ce n'est pas du tout mon métier, j'ai plus un profil ONG que communication et j'ai mis beaucoup de temps à me mettre à niveau de ce qui avait été fait avant, notamment du côté marketing.

L'acclimatation dans ce nouveau pays, ce n'était pas trop dur ?

Ce n'était pas ma première expérience en Afrique. J'ai beaucoup voyagé, visité une vingtaine de pays et j'avais notamment fait un stage de 6 mois dans une ONG. Mais c'était la première fois que je jouais au rugby à l'étranger et je me suis rendu compte qu'il y avait une vraie vision française du rugby. Au Sénégal, même si on est proche de la France, il y a aussi une vraie touche. Au niveau de la dimension physique, de la puissance, de la force, de la rapidité, les mecs se rapprochent de la Fédérale 1. En terme de technique, ça va de la 1ère Série à l'Honneur. Et en terme de tactique, tu ne dépasses pas la 3ème ou 4ème série. Pourtant, ce n'est pas de la 3ème/4ème série à la Française. Il n'y a pas de mauls, les mêlées sont jouées mais pas vraiment disputées. On est dans du jeu pur.

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Venons-en aux tournois de petite catégorie que vous organisez et à l'appel au financement solidaire. Quelle est la situation des jeunes rugbymen au Sénégal ?

D'abord, il faut savoir que notre développement a été un peu chaotique. La Fédé sénégalaise existe depuis les années 60 mais il y a vingt ans, il n'y avait que quatre équipes de seniors ! Aujourd'hui, on a 63 écoles de rugby officielles, même si en réalité, on est plutôt proche des 80. On a axé notre développement sur les petites catégories car nos joueurs avaient de grosses lacunes techniques quand ils arrivaient chez les seniors. Or, à 20 ans, elles sont irrécupérables... Il a donc fallu restructurer nos écoles de rugby.

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On organise douze tournois de jeunes (voir le lien de présentation) car il y a douze zones de développement dans le pays, zones où le rugby est très demandé. Notre force, c'est le capital humain. On a des gens qui s'investissent à fond mais ne gagnent rien financièrement. Au contraire, ça leur coûte de l'argent. Notre mission à la Fédération, c'est de transmettre les valeurs du rugby et de garder ce qui nous différencie des autres sports comme le foot, la lutte sénégalaise ou le basket. Chaque année, on gagne de l'estime, car on est particulièrement exemplaires.

D'où la volonté d'organiser ces tournois !

Est-ce qu'il y a un rugbyman qui se souvient de ses entraînements quand il était gosse ? Non. Par contre il se souvient de tous les tournois qu'il a fait ! Pour progresser, on en a besoin, mais d'un point de vue humain, c'est aussi grâce à eux, grâce à ces rencontres, qu'on grandit. Que nos enfants deviennent des ados et que nos ados deviennent des jeunes hommes ou des jeunes femmes.

Il y a donc du rugby féminin.

On a 49% de filles, mais à Dakar, on tourne plutôt à 70-80%... de garçons. Dans les régions, il y a donc une majorité de filles, dans un pays musulman, à fortes traditions. On a des filles car on est les seuls à leur proposer une activité sportive où elles ont le droit de venir, où elles sont encadrées et où on prend soin d'elles. Si une gamine se pète, on prend en charge les frais médicaux et on ne l'abandonne pas dans le coin de la rue.

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Concrètement, si quelqu'un veut participer pour sponsoriser un tournoi, comment faire ?

On a lancé un appel à financement solidaire (lien consultable ici). La première chose que j'ai envie de souligner, et j'y tiens, c'est que ceux qui vont nous aider, on les remercie. Si vous venez au Sénégal, on vous recevra toujours pour montrer le rugby local, les écoles... Certains ne veulent rien recevoir et se contentent d'un merci, d'autres se contenteront d'un t-shirt, d'un mug. On a aussi la possibilité de donner le nom d'un donateur à l'un de nos douze tournois. On tient à offrir quelque chose en retour car remercier, c'est la moindre des choses que l'on puisse faire. Je rêve d'avoir 500 personnes qui mettent 5€. Quand je rêve très très fort, je rêve d'avoir 800 personnes qui mettent 10€ !

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Outre ces tournois, il faut qu'on achète des ballons, il faut qu'on trouve des maillots pour notre équipe nationale, qu'on équipe nos filles. On voudrait aussi organiser un rassemblement de tous les éducateurs pour leur faire une grosse mise à niveau rugby. On a des tonnes de choses à faire mais c'est difficilement réalisable.

Tu as un exemple précis ?

On a envoyé notre équipe nationale à 7 pour le Tournoi qualificatif aux JO. Il y avait peu de chances qu'on se qualifie avec le Kenya et le Zimbabwe mais on aurait pu les préparer pour finir 3e, 4e ! Ce qu'on n'a pas pu faire. World Rugby a pris en charge l'avion et l’hôtel. Mais tout le reste, on a sorti ce qu'on pouvait de nos poches, ne serait-ce que pour des T-shirts ou la préparation physique. La Fédé n'avait pas le budget pour.

Mais le but premier de la Fédération n'est pas d'aller chercher de l'argent, n'est-ce pas ?

Déjà, on est pratiquement tous bénévoles. Des gens qui gagnent de l'argent au Sénégal grâce au rugby, il doit y en avoir deux. On compte beaucoup sur les volontaires. C'est important pour nous car ils amènent un tas de bagage technique que l'on n'a pas. On progresse et ce sera toujours mieux que d'avoir 5000€ pour payer quelqu'un pour qui le fasse. On a besoin de financement matériel avant tout. On peut grandir avec des hommes et avec des ballons. Notre but premier n'est pas d'attraper de l'argent mais d'avoir des personnes sur qui on peut compter, qui progresse en rugby. C'est aussi filer un ballon à un gamin de 10 ans qui est très bon, qui met tout le monde à l'amende alors qu'il joue pieds nus dans le sable.

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Aujourd'hui, on a un budget qui avoisine les 100 000€ pour 800 seniors, 600 juniors (dont 450 filles) et environ 7500 enfants. On commence à entrer dans les écoles pour des initiations, ce qui nous permet de toucher encore plus de monde.

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Parlons un peu plus précisément du rugby sénégalais en général. Si tu devais faire un état des lieux, à commencer par le championnat et son mode de fonctionnement ?

Il existe quatre championnats et une coupe nationale. Un championnat national senior à XV de janvier à juin qui regroupe dix équipes sur Dakar et en région. Ces dix équipes sont divisées en deux poules avec une phase de brassage qui va déboucher sur des play-off et des play-down. En coupe, toutes les équipes sont mélangées et on intègre dans la compétition celles qui veulent intégrer le championnat... et qui à terme, remplacent celles qui disparaissent, faute d'argent. Le XV coûte cher. On a ensuite le championnat national de rugby à 7, d'octobre à décembre, avec une quinzaine d'équipes. On a également un championnat régional de rugby à 7, où on intègre la Mauritanie. Enfin, on a également un championnat régional U19.

Quid des infrastructures ? Sur quels terrains jouez-vous ?

Des terrains, on n'en a pas ! On en occupe deux, en fait : le terrain militaire français et le terrain militaire sénégalais. On doit les louer, et c'est de plus en plus difficile d'y accéder, à cause de la guerre au Mali ou des attentats qui ont eu lieu en France. Sinon, on joue sur des terrains de foot où on accroche vaguement des poteaux. Si la Fédération Française de rugby voulait faire un vrai geste pour le rugby, elle pourrait nous construire un stade au Sénégal plutôt que son Grand Stade (Rires).

Justement, qu'est-ce qui freine le plus le développement du rugby au Sénégal ? Les infrastructures dont on vient de parler ?

Ça joue un rôle important, mais je dirais que le plus gros problème, c'est qu'il n'existe pas de culture rugby au Sénégal. Là-bas, on n'a déjà pas la possibilité de regarder les matchs car ils passent sur Canal+, une chaîne payante. Si on avait une culture rugby, si le sport était une des disciplines reconnues, on aurait des terrains. Car des terrains, il y en a. On jouit d'une mauvaise réputation car les gens ont vu du rugby à la télé et ce qu'ils ont vu, ce sont des mecs qui se rentrent dedans, ils n'y ont vu que de la violence. Les gosses rêvent d'être Dan Carter, Sonny Bill Williams, Louis Picamoles mais pour qu'on arrive vraiment à un développement, il faudrait aussi qu'ils rêvent d'être Babacar N'Diaye. Qu'ils voient les joueurs locaux et s'identifient à eux.

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Parlons maintenant de l'équipe nationale à XV, qui évolue dans le groupe B de la 1ère division.

L'équipe est majoritairement composée de Sénégalais de France. On commence à avoir des mecs nés au Sénégal partis ensuite France qui l'intègrent, sans oublier quelques locaux (5/25) qui n'occupent pas encore de postes stratégiques... mais ça pourra vite arriver ! L'an passé, on loupe à peu de choses la montée dans le groupe A. On a vraiment un bon groupe et de très bons entraîneurs. Le souci majeur, c'est qu'on n'a pas l'argent – donc pas la possibilité – de nous réunir pour se préparer. Pour te faire une idée, un seul rassemblement représenterait un dixième de notre budget. Et tout ça nous coûterait encore plus cher si on jouait dans le groupe A. On ne touche pas d'argent de l’État, on ne touche pas grand chose de World Rugby, qui donne en fonction des résultats de toutes les équipes nationales. Par exemple, la Tunisie a disputé la Coupe du monde à 7 et touche donc plus d'argent que nous.

Tu évoquais le cas de Sénégalais partis en France. Il existe des passerelles vers les clubs ?

Pas vraiment. On a trois difficultés. La première, c'est d'obtenir un VISA, ce qui est impossible sans permis de travail. C'est lié au deuxième problème : les joueurs qu'on a n'ont pas le Bac ou une formation professionnelle. Souvent, ils ont arrêté l'école assez jeune. Le troisième souci est d'ordre physiologique. La plupart des Sénégalais font leur pic de croissance vers 20-22 ans. Par exemple, on a des Juniors qui font 2 mètres... pour 65 kilos. Des allumettes. Quand les clubs français veulent des joueurs, ils les prennent à 17 ou 18 ans. Or à cet âge, ce sont des crevettes !

Dernière question : qu'est-ce qu'on peut te souhaiter d'ici un an ? Et souhaiter au rugby sénégalais pour le futur ?

Personnellement, il faut me souhaiter que ma femme ait une prolongation de contrat, ça me permettra de rester ici un an de plus ! Si je pars, il faut souhaiter qu'on me trouve un successeur à la communication. J'aimerais beaucoup que le financement qu'on recherche soit explosé ! Que les rugbymen de France se privent d'une pinte et mettent 5€ ! Ce serait merveilleux. J'aimerais aussi que suite à la lecteur de cet article, on nous envoie un mail en expliquant qu'on va nous envoyer un carton de maillots et de crampons qui traîne dans un garage ou qu'on veut nous aider en venant au Sénégal.

Si vous êtes intéressés par le financement d'un tournois de jeunes au Sénégal, c'est par ici que ça se passe !
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  • dimi44
    5719 points
  • il y a 8 ans

Super article,

Vivement que Rugbynistère existe, sinon on s’emmerderai et super de nous montrer es articles sur le rugby émergents.

Vive le RUGBY !!!!!!!

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