Le coup d’envoi du Tournoi des 6 Nations 2026 c'est dans moins de deux mois. Pour rappel, les Bleus seront les premiers sur le pont face à l'Irlande... le jeudi 5 février. Et sans être devin, on peut s'avancer en disant qu'il y aura sans doute de très beaux essais marqués. Mais aussi des actions et décisions qui feront débat. C'est le lot des matchs à enjeux où tous les regards sont tournés vers les arbitres. Et où tous les fans se transforment en spécialistes de l'arbitrage et du coaching.
Certaines images continuent encore d'alimenter les débats. Alimentant les discussions. Parmi elles, cette dernière séquence à Murrayfield, le 10 février 2024, lors d’Écosse – France. Chrono dans le rouge, pilonnage écossais devant la ligne tricolore alors que la France ne mène que 20 à 16. Sam Skinner plonge et pense offrir la victoire au XV du Chardon.
Sur le terrain, l'Australien Nic Berry tranche : “Pas essai, ballon maintenu en l'air”. La vidéo est sollicitée, le TMO analyse… et confirme. Pas de preuve “évidente” que le ballon a été aplati dans l'en-but ou sur la ligne, donc pas d’essai. La France s’impose, laissant derrière elle une polémique qui, près de deux ans plus tard, mérite toujours d’être expliquée plutôt que simplement débattue.
Une action confuse, un match qui bascule
Tout se joue en quelques secondes. L’Écosse pilonne la ligne française, Skinner est au cœur du combat et semble parvenir à franchir la ligne de but. Berry estime avoir vu le ballon au-dessus de la ligne mais empêché d’être aplati, possiblement bloqué par le pied de Yoram Moefana. Il annonce donc un appel terrain “No try / held up”.
Crédit image : Screenshot France tv sport
Le TMO Brian MacNeice visionne les angles disponibles, mais aucun ne montre clairement le ballon en contact avec le sol. Sans “preuves évidentes”, l’appel terrain prévaut. Le Guardian résumait alors la mécanique implacable : décision maintenue, fin de match, frustration immense côté écossais. Gregor Townsend parlera d’un essai “que nous croyons valable”, sans pour autant pouvoir prouver l’inverse.
Ce que dit vraiment la règle sur l’aplatissement
Crédit image : Screenshot France tv sport
Un rappel s'impose. Aplatir, ce n’est pas simplement contrôler le ballon en en-but. Selon la Loi 21, le ballon doit toucher le sol ou la ligne de but, tenu ou avec une pression vers le bas. Un ballon coincé sur une chaussure, un genou ou un corps, sans contact sol, n’est pas un "grounding". Et si le porteur est tenu en-but sans pouvoir aplatir, on parle alors de “held up” : ballon mort, fin de l’action. Ce point est fondamental, car dans le cas Skinner, toute l’incertitude repose précisément sur ce contact 'invisible' avec le sol.
L'appel terrain qui conditionne tout
Là où l’action devient un cas d’école, c’est dans le protocole TMO. Depuis 2022, l’arbitre doit annoncer un appel terrain clair : “Décision terrain : Essai” ou “Décision terrain : Pas essai”. Il peut aussi, s’il n’a rien vu, se déclarer “incertain” et laisser la vidéo décider collectivement. À Murrayfield, Berry ne choisit pas cette option. Il estime avoir vu l’essentiel et annonce “pas essai”.
Dès lors, le rôle du TMO n’est plus de se demander si l’action ressemble à un essai, mais de déterminer s’il existe une preuve claire et évidente pour renverser la décision initiale. Or, comme le rappelle le protocole, le TMO n’est pas là pour “driver” la décision, seulement pour aider le referee à confirmer ou corriger en cas d’évidence flagrante.
Crédit image : Screenshot France tv sport
Nigel Owens tranche : pourquoi le doute ne suffit pas
Quelques jours après le match, Nigel Owens, ancien arbitre international, avait donné son avis sur cette action 'polémique'. Mot pour mot, il explique que Berry sait deux choses : le ballon est au-delà de la ligne, et il est tenu. La seule question posée au TMO est donc : y a-t-il une preuve claire pour dire que le ballon a touché le sol ? La réponse est non.
S'il n'était pas sûr, faute d'avoir vu l'action, il aurait pu demander : « Essai oui ou non ? » Ou s'il avait estimé "j'ai un contact avec le sol", mais qu'il voulait simplement s'assurer qu'il ne s'était rien passé d'autre, alors il aurait pu conclure : "ma décision sur le terrain était un essai." Dans ce cas précis, l'arbitre demande à l'arbitre vidéo (TMO) de confirmer la décision de l'arbitre sur le terrain : pas d'essai. Cela signifie que le TMO, après avoir examiné tous les angles disponibles, doit disposer de preuves claires pour infirmer cette décision.
Owens insiste aussi sur la pression énorme de ce type de décision, dans les dernières secondes, avec l’issue du match en jeu. Sans certitude absolue, on ne peut pas inverser un appel terrain. Ce n’est ni une question d’intuition, ni de favoritisme : c’est une application stricte du cadre.
La question de savoir si le ballon a franchi la ligne ne se pose même pas, car nous savons qu'il l'a fait puisque l'arbitre l'a déjà confirmé. C'est pourquoi le TMO ne se penche pas sur la question : nous savons que le ballon a franchi la ligne.
Autre point souvent mal compris : la reprise de jeu. Depuis l’introduction et la clarification du goal-line drop-out, si l’attaque porte le ballon en-but et que la défense rend le ballon mort légalement, la sanction est un renvoi d'en-but. Mais ici, le temps est déjà écoulé. Ballon mort = fin d’action = fin de match. Pas de mêlée à cinq mètres, pas de dernier ballon à jouer. C’est dur à avaler pour l’Écosse, mais totalement cohérent avec la logique actuelle des lois.
Et si l’arbitre avait dit “incertain” ? Le vrai débat
C’est sans doute là que se niche la seule vraie discussion arbitrale. Sur une action aussi bouchée, avec des corps partout et des angles limités, l’option “unsure” aurait-elle été plus adaptée ? Peut-être. Car dans ce cas, la vidéo aurait pu décider sans être contrainte par un appel terrain fort. Mais le protocole laisse cette responsabilité à l'officiel, et World Rugby insiste sur son rôle central. Berry a assumé, la vidéo n’a pas contredit. Difficile de faire plus cohérent sur le plan réglementaire.
À moins de deux mois du prochain Tournoi, cette action rappelle une chose essentielle : l’arbitrage moderne se joue autant sur la procédure que sur l’image. Pour les joueurs, c’est un message clair : tant que le ballon ne touche pas le sol, l’essai n’existe pas. Et pour les arbitres, c’est un précédent qui renforce la crédibilité du protocole TMO, parfois frustrant, mais pensé pour éviter les décisions “à l’instinct”. L’essai refusé de Sam Skinner restera une cicatrice écossaise, mais aussi un cas d’école. Pas forcément juste aux yeux de tous, mais justifié au regard des règles. Et dans le rugby moderne, comprendre pourquoi une décision tient vaut souvent autant que le résultat lui-même.
