« Relancer le rugby à XV, seul garant de nos valeurs ». C’est par cette déclaration que s’ouvre le nouvel ouvrage de Lionel Girardi, entraîneur bénévole des U19 de Casteljaloux, dans le Lot-et-Garonne. Comme tout bon bénévole, Girardi ne vit que de son activité professionnelle… et, depuis peu, de son métier d’agriculteur.
Pourtant, pendant une grande partie de sa vie, c’est bien le rugby qui l’a porté : préparateur physique, entraîneur, éducateur, toujours habité par cette volonté farouche de faire évoluer son sport.
Ce livre en est une nouvelle preuve. À travers 53 propositions, celui qui vient de souffler sa 50ᵉ bougie analyse la crise qui plane sur la pratique du rugby à XV, une précision qui n’a rien d’anodin.
Car si la Fédération française peut se féliciter d’une hausse globale du nombre de licenciés, Lionel Girardi met en lumière une réalité bien différente, celle qu’il observe depuis vingt-cinq ans au contact des clubs amateurs.
Sa plume maîtrisée, son sens de l’analyse et son goût du détail couplés à sa connaissance en font un véritable technicien. En pointant la fragilité du système, Girardi n’entend pas seulement dresser un constat : il souhaite ouvrir un véritable débat, avec les clubs de rugby à XV et plus largement avec tous ceux qui accepteront de l’entendre.
Une démarche qui a évidemment incité la rédaction du Rugbynistère à se plonger dans son ouvrage… et à en discuter directement avec lui.
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Dans votre livre, on constate aussi énormément de schémas, cela rend l'ouvrage plus accessible...
Disons qu'à la base, je n'étais pas destiné à écrire. Mais quand je m'y suis mis, j'ai dit : « Non, l'éducateur, l'entraîneur qui arrive, un maçon, un banquier, et autres, ne sont pas des professionnels. » Alors il faut leur parler simplement, avec des mots simples qu'ils comprennent. J'ai toujours fait comme ça.
Car vous l’avez écrit pour ces bénévoles ?
Pas tout à fait, c'est vraiment aujourd'hui l’éducateur-entraîneur que je suis qui veut informer les clubs de la nouvelle direction que prend la Fédération française de rugby. J'ai voulu l'expliquer pour que même un simple parent de joueur qui tombe sur le livre et qui a envie d'en savoir plus puisse le comprendre. Un parent n'a pas forcément joué au rugby. Donc il faut qu'ils puissent, en achetant le livre, comprendre des choses. Il fallait que tout le monde comprenne que là, on est en train de prendre un virage et que nous, le monde des éducateurs-entraîneurs, on n'a pas forcément été trop consultés. Alors que c'est nous qui devons faire vivre tous ces rugbys.
Vous parlez de rugby au pluriel, justement c’est l’axe majeur de votre ouvrage, cette diversité d’offre qui pourrait nuire, par résonance, au rugby à XV.
Alors, je ne dirais pas que ça le pénalise, mais je dirais qu'on engage des moyens humains, des moyens financiers dans les clubs vers d'autres offres de rugby. Quand les clubs de Nationale et Fédérale sont bien structurés et que le XV fonctionne bien, c’est une bonne chose de développer secondairement ces nouvelles offres pour du rugby handicap, rugby santé, rugby loisir. Ça ne me gêne pas du moment que la base est structurée. Mais pour les autres, où tu vois qu'il y a des ententes à l'école de rugby, en Junior, et bientôt en Senior, et qu’en même temps on te demande de développer les autres formes de rugby, tu te dis : attends, mais déjà, c'est compliqué de faire des équipes à XV. Il faut qu'on y mette tous nos moyens pour essayer de relancer ça, de relancer le rugby à XV.
Depuis la mise en place de cette diversification de l’offre, le nombre de licencié(e)s à augmenté, comme c’était annoncé par la gourvernance.
Oui, mais la hausse du nombre de licenciés ne doit pas être un objectif, cela doit être le résultat. Bien sûr que le nombre de licences a augmenté, surtout chez les féminines, comme je le démontre sur les graphiques du livre. On sort aussi d’une période post Coupe du Monde, et effectivement les offres proposées s'adaptent au plus grand nombre. Mais il faut soigner la base ; la base, c’est le rugby à XV. Là, les effectifs se détériorent. La fidélisation doit être le cheval de bataille des entraîneurs avec les jeunes. En 2022, on constate une baisse de 3 514 joueurs entre les catégories U14 et U19. C'est l'arbre qui cache la fôret.
Pour contrer cette baisse, vous comptez lier le rugby plus étroitement avec l’école, en créant aussi des catégories impaires.
Il faut que les jeunes se côtoient en dehors des temps de rugby aussi. Aujourd’hui, les catégories ne sont pas adaptées au rythme scolaire. Ces catégories impaires ont été créées dans les années 2010 pour lutter contre le manque d’effectifs en junior. Le passage aux catégories impaires permettrait de retrouver cette cohérence et sans doute de fidéliser plus de jeunes. Ajoutez à cela l’élitisme et la dureté du système de formation, c’est difficile pour certains jeunes éjectés des clubs de l’élite de réintégrer le système actuel.

Il y a aussi une question de gabarit chez les jeunes, qui est capitale, puisque ces rugbymen en herbe ne sont d’emblée pas égaux sur ce point-là.
Ah oui, parce qu'en fait, aujourd'hui, on l'a souvent entendu : quand un gamin en moins de 14, se balade dans son petit club, on lui dit qu’il vaut mieux aller jouer dans une écurie du Super Challenge. Mais le problème, c'est qu'on a monté un système qui ne donne plus le choix. C'est-à-dire qu'un gamin qui se balade dans son petit club, il n'a plus le choix que de s'en aller. Ils n’ont pas tous envie de partir à 60, 100, 150 km de chez eux, de changer de collège, de changer de vie sociale, pour aller jouer à un meilleur niveau au rugby. Le fait de surclasser les joueurs a été enlevé, mais c’est une très bonne chose pour ces jeunes.
Dans la manière d’enseigner le rugby, vous évoquez aussi ce besoin important de le présenter en tant que sport de combat collectif.
Pour moi, c'est une des raisons pour lesquelles le rugby à 15 se dégrade depuis 25 ans. C'est parce que avec un rugby plus élitiste, on a bien vu que le temps de jeu effectif a explosé : il est passé de 11 minutes dans les années 90, à environ 40 minutes aujourd'hui. Grosso modo, il a été multiplié par 3,5. Quand on multiplie le temps de jeu effectif par 3,5, qu'est-ce qui se passe concrètement sur un terrain ? On multiplie par 3,5 le nombre de contacts. C'est ça, en fait. Il y a plus de plaquages, il y a plus de rucks… Cette évolution du rugby a augmenté le nombre de contacts et donc majoré l’importance du combat. Donc rester sur un modèle de formation par des contenus liés au collectif, c'est une grosse erreur dans le sport de combat collectif. Donc oui, le combat doit redevenir la priorité de la formation à l'école de rugby.
Comme l’esprit de compétition…
Alors, la compétition, c'est pareil. Là, j'en parle parce que depuis 25 ans, on nous dit : « La compétition, il ne faut surtout pas à l'école de rugby, le classement, ce n'est pas grave, on est là pour jouer. » Mais le problème de la compétition, c'est que l'enfant est compétiteur de nature. Il y a très peu d'enfants qui ne sont pas compétiteurs. Alors, on est à contre-nature.
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— France Rugby (@FranceRugby) December 3, 2025
Alors, pourquoi l’avons-nous retirée ?
En fait, le but d'enlever la compétition à l'école de rugby, ce n'était pas pour les gosses, c'était pour les éducateurs qui étaient trop compétiteurs. Ils voulaient gagner les tournois, ils voulaient tout gagner. Au lieu de s'en servir comme moyen d'évaluation et de formation. Les dérives de ça, c'est qu'ils ne calquent que des stratégies de jeu pour gagner. Et souvent, on va se servir des trois meilleurs éléments de l’équipe pour jouer autour d’eux.
L’un des points les plus positifs dans votre livre porte sur l’évolution du rugby féminin…
Effectivement. Alors là, la fédération annonce une hausse d’environ 38 % des effectifs. Mais une fois de plus, ils considèrent dans le calcul les dirigeantes et les bénévoles. Moi je n’aime parler que des joueuses, celles que l’on doit former au rugby. Le gros souci des féminines, c'est l'école de rugby. De mémoire, il y a 5 000 féminines en école de rugby, des U6 aux U15. C'est une population qui fait du rugby plutôt dans des âges tardifs. Donc, si tu veux augmenter tes équipes à 15, cela passe par l'école de rugby.
Vos 53 propositions, qui va les financer ?
Personne, car la plupart ne coûtent pas un rond. D’ailleurs, on nous dit que les caisses sont vides…mais il y a des choses que l'on peut améliorer en réorganisant seulement.
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