1919, l'épopée oubliée de la première coupe du monde de rugby
Le roi George V remet la King'Cup à James Ryan, le capitaine néo-zélandais. Crédit photo : Thomas Frederick Scales, Royal New Zealand Returned and Services' Association Collection, Alexander Turnbull Library, Wellington, New Zealand (Domaine public)
Alors que la dixième édition de la Coupe du Monde va débuter en septembre prochain en France, retour sur un épisode méconnu de l'histoire du rugby.

La première Coupe du Monde de rugby s'est déroulée en Nouvelle-Zélande en 1987 et les All Blacks l’ont emporté sur leur sol en battant la France en finale, 29-9. Voilà pour l’histoire officielle. Mais il y a plus d’un siècle, en 1919, alors que la Première Guerre mondiale vient à peine de se terminer, une compétition rassemble plusieurs nations dans ce qui peut être considérée comme une Coupe du Monde avant l’heure, soixante-huit ans avant : la King’s Cup.

L’armistice est signé le 11 novembre 1918 mais les millions de soldats ayant participé aux combats ne rentrent pas immédiatement chez eux. Leur démobilisation va prendre plusieurs mois et s’étaler sur toute l’année 1919. L’ennui et l’impatience guettent. Les mutineries de 1917 sont dans les esprits de tous les officiers… Alors que faire pour occuper ces militaires et éviter que leur inaction ne dégénère ? Du sport évidemment ! Notamment du rugby. Ainsi naît l’idée de cette King’s Cup.

Rappelons que même pendant le conflit, en retrait des tranchées, on organise des matchs de rugby. Ainsi le 14 avril 1915, la division des South Midlands bat l’équipe de la Quatrième Division, 17-0. La première formation est emmenée par Ronald Poulton-Palmer, ancien capitaine de l’équipe d’Angleterre, qui a mis quatre essais à la France lors du Tournoi des Cinq Nations 1914. Sur le pré, on compte six autres internationaux. Quant à l’arbitrage, il est assuré par Basil MacLear, une ancienne gloire irlandaise. Ce match est le dernier de Ronald Poulton-Palmer : trois semaines, plus tard, il est tué par un tireur embusqué à Ploegsteert en Belgique. Une légende prétend que ses derniers mots auraient été « je ne rejouerai plus à Twickenham ». Le rugby paie un lourd tribut à l’hécatombe générale : près de cent-trente joueurs internationaux meurent sur les champs de bataille. La France en perd vingt-deux, la Nouvelle-Zélande treize (dont le célèbre Dave Gallagher), l’Australie dix, l’Angleterre vingt-sept, le Pays de Galles treize, l’Irlande neuf, l’Écosse trente-et-un, l’Afrique du Sud cinq et les États-Unis un.

Pour la King’s Cup, six équipes sont conviées : l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, l’Afrique du Sud, la Royal Air Force (elle est composée de joueurs issus de plusieurs nations) et la Mère Patrie (Mother Country) qui rassemble les quatre nations britanniques. C’est une affaire impériale dont le but est de célébrer l’unité entre l’Empire et ses dominions.

Programme du 1er match entre la Mère Patrie et la Nouvelle-Zélande. (Programme for the match between the Mother Country and New Zealand service teams ; Domaine public)

Les États-Unis et La France ne sont pas invités. En 1919, cette dernière est loin d’être une nation majeure : elle n’a gagné qu’un seul match depuis ses débuts internationaux (16-15 contre l’Écosse dans le Tournoi de 1911). Néanmoins, on frôle l’incident diplomatique entre alliés et pour rectifier le tir, on promet aux Français qu’ils pourront affronter le vainqueur de la compétition.

Le format de la King’s Cup est simple : chaque équipe affronte les cinq autres pour établir un classement final, les quinze rencontres sont disputées en Angleterre, en Écosse et au Pays de Galles.

La King’s Cup rassemble le gratin du rugby mondial de l'époque. Sur ses vingt-huit joueurs, la Mère Patrie aligne vingt-deux capés pour les Home Nations. Wavell Wakefield est le capitaine de la RAF : il connaîtra trente-et-une sélections avec la Rose de 1920 à 1927, remportant trois Grands Chelems. L’équipe de Nouvelle-Zélande compte sept anciens et six futurs All Blacks dans ses rangs. L’Afrique du Sud est menée par Boy Morkel, joueur vedette qui a participé au fameux Grand Chelem des Springboks contre les nations européennes en 1912-1913, jouant les cinq rencontres et inscrivant deux essais. L’Australie, elle, est dirigée par le lieutenant William “Billy” Watson, ancien international wallaby. En octobre 1918, Watson est victime d’une attaque au gaz moutarde qui lui provoque régulièrement des éruptions cutanées, cicatrisant difficilement. Juste avant le match contre la Nouvelle-Zélande, un médecin traite ses plaies et lui applique des bandages qu’il porte pendant la rencontre ! Dans les rangs des Wallabies, on trouve aussi un certain Dan Carroll, médaillé d’or avec l’Australie aux J.O. de 1908. En 1920, il gagnera une deuxième médaille d’or… Avec les États-Unis ! Jamais autant de rugbymen de haut niveau n’ont été rassemblés au même endroit.

Dan Carroll, double champion olympique avec deux pays différents. (Auteur inconnu ; Domaine public)

La compétition s’étire sur près de deux mois et rencontre un franc succès populaire, les matchs se jouant devant des foules nombreuses. La Nouvelle-Zélande (quatre victoires et une défaite face à l’Australie, 5-6 à Bradford) et la Mère Patrie (quatre victoires et une défaite face aux Néo-Zélandais, 3-6 à Édimbourg) finissent aux deux premières places. L’Australie est troisième (3 v, 2 d), suivie par l’Afrique du Sud et la RAF (2 v, 3 d). Le Canada termine dernier avec cinq défaites. Pour départager les deux premiers, on organise une finale. Elle se déroule le 16 avril 1919 à Twickenham devant 15 000 spectateurs dont le Prince de Galles et le Premier ministre néo-zélandais. Sur le terrain, on retrouve plusieurs joueurs internationaux comme Eric Cockroft, Jack Stohr, Dick Roberts (ancien capitaine des All-Blacks) ou James Ryan côté néo-zélandais, Charles Pillman (dix-huit capes pour l’Angleterre entre 1910 et 1914), Allen Sloan (Écosse), Clem Lewis et le révérend William Havard (Pays de Galles) du côté britannique. D’autres connaîtront leurs premières sélections dans les années suivantes.

En première mi-temps, les Britanniques jouent contre le vent et mènent 3-0 après vingt minutes et une pénalité de Barry Cumberlege (huit capes avec l’Angleterre entre 1920 et 1922). Jack Stohr réplique : le score est de 3-3 à la mi-temps. Dans les vestiaires, les visiteurs reçoivent la visite de Bille Massey, leur Premier Ministre, qui encourage ses troupes. De retour dans l’arène, les Néo-Zélandais privent leurs adversaires de ballon, scorent deux fois et l’emportent 9-3. Trois jours plus tard, dans le même stade et devant 18 000 spectateurs, ils affrontent la France. Alphonse Jauréguy joue au centre pour les Bleus tandis que René Crabos débute sur le banc. Les Kiwis triomphent aisément, 20-3. Le roi Georges V remet la King’s Cup à James Ryan, le capitaine néo-zélandais.

Le roi George V remet la King's Cup à James Ryan, capitaine néo-zélandais.
(Thomas Frederick Scales, Royal New Zealand Returned and Services' Association Collection, Alexander Turnbull Library, Wellington, New Zealand ; Domaine public)

Dans la foulée, en mai, les vainqueurs viennent en France pour y disputer trois matchs face à des sélections tricolores : ils s’imposent à chaque fois (16-10 à Paris, 16-6 à Pau et 16-6 à Toulouse) et confirment leur supériorité. Au final, la King’s Cp est un succès mais avec le retour à la maison des soldats, aucune autre compétition d’envergure n’est organisée à sa suite. Le rugby demeure amateur pour plusieurs décennies et l’ovalie doit attendre 1987 pour revoir une telle compétition. Néanmoins, des contacts sont pris, notamment entre Néo-Zélandais et Sud-Africains. Dès 1921, les Springboks se rendent au pays du long nuage blanc à l’invitation des All Blacks. Cette tournée mythique est le point de départ de la plus fameuse et féroce rivalité du rugby mondial. Pendant longtemps, leurs affrontements désigneront officieusement la meilleure nation du rugby mondial.

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  • Jako33
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  • il y a 10 mois

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