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Pérou, Slovaquie, Belgique... Le Road Trip rugbystique de Pierre Chancel interrompu par une commotion cérébrale
A 25 ans, Pierre stoppe pour des commotions cérébrales et souhaite alerter le monde amateur. Crédit photo : Leslie VS
Entretien avec Pierre Chancel, champion 2016 de Belgique avec Dendermonde, qui a joué sur deux continents différents et dans quatre pays…

Salut Pierre ! Parle-nous de ton parcours rugbystique…

Je viens d’une famille très rugby, mon père était joueur à Aurillac et est ensuite devenu arbitre. J’ai débuté à l’école de rugby de Meaux à 7 ans jusqu’à ma première année Juniors. En Cadets, j’ai connu la sélection Ile de France où sont sortis plusieurs bons joueurs comme Jules Plisson. A 17 ans, j’ai subi ma première commotion cérébrale sérieuse mais je n’imaginais pas qu’elle serait la première d’une longue série. J’ai ensuite joué en Universitaire avec le XV de l’Ieseg – Ecole de Commerce de Lille - de 18 à 23 ans avec entre-temps une année au Slovan Bratislava en Slovaquie, et au Lima Rugby Club au Pérou. Et j’ai évolué trois ans en Belgique, d’abord en 2ème, puis en 1ère division.

Tu as dû voyager à plusieurs reprises. Et, automatiquement, tu trouvais un club de rugby ?

Oui, il n’est pas forcément simple de s’intégrer dans un nouveau pays, et le rugby permet d’accélérer le processus d’intégration en se faisant des potes.

L’intégration dans ces clubs a-t-elle toujours été simple et naturelle ?

Oui, c’est assez simple, malgré la barrière de la langue, comme au Slovan Bratislava. J’ai toujours eu la chance de tomber sur des bons mecs. Et puis, les soirées m’ont toujours permis de m’intégrer rapidement. J’ai la qualité et le défaut d’être une grande gueule, ce qui m’a aussi pas mal aidé. Comme j’ai toujours joué 9, on me l’a pardonné plus facilement.

Revenons sur tes débuts au CS Meaux ! Raconte-nous la meilleure anecdote.

Difficile de sortir une anecdote en particulier, c’est tellement de grands souvenirs. Je me souviens d’un match en particulier contre Boulogne (l’ACBB) en Minimes : demi-finale de Championnat Ile de France, ce qui était l’équivalent d’une Coupe du Monde pour nous à l’époque. Nous avions battu l’ACBB, une semaine après le décès d’un des entraineurs du club. Son fils, Tom Durand, était notre capitaine et numéro 10, et ce jour-là, nous avons vraiment joué pour lui. Encore aujourd’hui je repense à ce match, et, quand on se recroise avec les gars de l’équipe, c’est toujours un sujet qui revient sur la table au milieu d’autres sujets beaucoup moins sérieux.

Tu as ensuite été sélectionné avec l’Ile-de-France !

Oui, avec plusieurs joueurs de mon club, pendant nos années Cadets. C’est également un superbe souvenir ! En première année Cadet, nous perdons en finale face à la sélection Midi-Pyrénées. On avait même pris une belle branlée, mais cela reste mémorable.

Ensuite, tu t’es concentré sur le Rugby Universitaire…

Oui, j’ai vite compris que je n’avais pas le coffre pour devenir joueur de TOP 14, et j’ai mis l’accent sur les études, ce que je ne regrette pas du tout aujourd’hui. De 2009 à 2014, j’ai étudié en école de commerce à Lille où j’ai joué pour le XV Ieseg. Là, c’était le rugby entre copains, où le rugby te sert avant tout à pouvoir te la péter en soirée. Aucune prise de tête sur le terrain, juste le plaisir de jouer. Je me souviens des soirées entre potes incroyables et du coach qui nous menaçait de faire la tournée des bars la veille des gros matchs pour être certain que personne ne sorte. Je sais d’ailleurs que c’est un grand fan du Rugbynistère… S’il lit cet article, j’aimerais le saluer, coach Volaille !

Tu as poursuivi le Rugby en Slovaquie.

J’ai fait une saison 2012-2013 au Slovan Bratislava (niveau PH – Honneur). Je t’avoue que j’avais choisi cette destination pour faire la fête et voyager, en me disant que j’allais mettre le rugby entre parenthèses pendant une saison. Mais même là-bas j’ai trouvé des types assez fous pour jouer à -10 en plein hiver sur un terrain recouvert de neige. Je vais pas mentir, là-bas le rugby n’est pas le sport national, mais le petit groupe de gars qui le fait vivre m’ont impressionné. Faire autant, avec aussi peu de moyens, c’était juste beau.

Je me souviens notamment d’un match affreux à Ostrava en République Tchèque, on avait récupéré la moitié de notre ligne de 3/4 composée exclusivement de joueurs français en Erasmus pour l’année, en sortie de boite à 6h du matin. Le match le plus long de ma vie…

Ensuite, tu as joué en Amérique du Sud.

Oui, en 2013-2014 au Pérou, j’ai joué pour le Lima Rugby Club (niveau : Fédérale 3). Le niveau était intéressant dans deux ou trois équipes du pays, avec notamment plusieurs Argentins dans le championnat. Nous avions perdu en finale cette année-là. Je n’avais jamais joué au rugby dans des conditions aussi extrêmes. Le terrain se situait en plein milieu d’une zone désertique, il faisait 30 degrés, et il n’y avait pas d’air. C’était juste irréspirable. Je me souviens encore d’avoir vu un joueur de notre équipe se mettre de la crème solaire par-dessus la vaseline avant d’entrer sur le terrain. Culturellement aussi, ça a été super enrichissant. Avant les matchs, le discours de motivation du capitaine se terminait toujours par un « je vous salue Marie », répété par toute l’équipe en espagnol. Je te jure que, la première fois, tu ne comprends pas trop ce qui se passe…

En 2014-2015, tu pars en Belgique.

En 2ème division belge, je joue à l’Antwerp Rugby Club pour une saison. Je m’étais décidé à aller faire un entrainement pour m’amuser, et Richard Williams, sélectionneur actuel de l’équipe d’Angleterre amateur, qui entrainait le club à ce moment-là, m’a proposé de rester. Sportivement, on a fait une saison plutôt moyenne.

L’année suivante, tu passes en première division belge ?

J’avais participé au Flander’s Open, tournoi de 10’s organisé par Dendermonde. Un des dirigeants du club m’a repéré et m’a fait signer pour la saison suivante. Pour te situer leur niveau, c’est de la Fédérale 2 de haut de tableau. J’ai rejoint un groupe exceptionnel, aussi bien sur le terrain, qu’en soirée. On gagne la Coupe et le Championnat en réalisant une saison parfaite, et on se qualifie pour la coupe d’Europe. Sportivement, j’ai cotoyé des joueurs incroyables, venant du monde entier. Beaucoup d’entre eux avaient clairement le niveau pour jouer au-dessus, mais ont préféré rester au club. Avant ça, j’étais un peu comme Jonathan Best, les valeurs du Rugby, je ne les voyais plus trop. Ces mecs-là m’ont fait changer d’avis. Cette saison, plusieurs joueurs étrangers dont mon frère et un ami de l’école de rugby de Meaux ont rejoint le club, pour renforcer l’équipe notamment en vue de la coupe d’Europe (Echelon 3 : en dessous du challenge européen), je t’avoue que ça a été le pied de jouer avec eux.

Et puis la suite : 3 commotions depuis septembre, et peut être 8 ou 9 (plus ou moins légères) depuis mes 15 ans, et une fin de carrière un peu prématurée. J’aurais quand même profité de tout, et je crois que j’ai pas mal été gâté.

Aujourd’hui, tu souhaites passer un message.

J’avais peur d’attraper « la maladie du boxeur ». Le risque avec les accumulations de KO, c’est à terme de devoir vivre avec des maladies comme Parkinson par exemple. Les symptômes post-commotion comme les pertes de mémoire après le choc, les maux de tête pendant plusieurs jours, la difficulté à supporter les lumières vives duraient de plus en plus longtemps à chaque fois. Tous ces signes m’ont franchement alerté. J’ai aussi un travail qui me demande de la concentration. Venir avec un nez cassé ou un cocard c’est envisageable, mais si tu viens sans pouvoir te concentrer ou fixer un écran d’ordinateur, là ça devient problématique. J’avais déjà été « averti » par des médecins, et après une discussion avec ma famille, j’ai décidé d’arrêter ma carrière de joueur.

Je t’avoue que ça n’est pas une décision facile, après toutes ces années à vivre rugby, d’un coup tu te sens démuni. Tu rentres chez toi, tu poses ton sac, et là tu te dis que si tu le vides, tu ne le rempliras plus jamais pour retourner à l’entraînement. Alors tu ne le vides pas, le temps de digérer. Mais entre prendre son pied sur un terrain 4 fois par semaine en prenant le risque de griller son cerveau, et arrêter en étant certain que je serai capable de porter mes gosses dans mes bras le jour où j’en aurai, le choix a été vite fait. Je suis content de voir que le problème des commotions commence à faire réagir grâce aux affaires Cudmore ou North, mais ce qui m’inquiète c’est plutôt le monde amateur. A ce niveau-là, il n’y a aucun contrôle. Les protocoles commotions sont faits à la va-vite pour permettre aux joueurs de revenir sur le terrain. Les mecs ne comprennent pas qu’ils sont en train de se griller, et que la commotion qu’ils viennent de subir peut avoir des conséquences dix, ou vingt ans plus tard. Merci de m’avoir permis de faire passer ce petit message !

Pierre, quels sont tes projets pour la suite ?

Devenir riche, racheter le Stade Aurillacois, monter en TOP 14, gagner le Brennus et la Coupe d’Europe ! Tout ça en 2 ans. Ensuite, former une association avec Raphaël Poulain et Nicolas Jeanjean pour représenter les mecs qui ont terminé leur carrière à 25 ans. Plus sérieusement, je ne sais pas encore, je vais digérer, et après pourquoi pas coacher.

Pour finir sur une note joyeuse, parle-nous de ton petit frère Antoine, 22 ans. C’est également un rugbyman qui a voyagé ?

Il est à Dendermonde depuis le début de saison ! Il a également débuté à Meaux, connu l’Universitaire au XV Ieseg avant de partir en Thaïlande où il a joué à Bangkok puis à Buenos Aires en Argentine. Il a aussi joué à Marcq dans le nord de la France en Balandrade. Depuis le début de la saison, il perpétue la tradition familiale en contestant chaque décision arbitrale.

Témoignage d’Antoine Chancel, le petit frère de 22 ans

Pierre a vécu une belle mais courte carrière. Je l’appelle mon Raphaël Poulain… Dans trois pays, il a été présélectionné pour jouer avec les équipes nationales ! Apprécié humainement, avec des copains un peu partout, il est pourtant un vrai numéro 9 râleur et casse-couille ! Tous les arbitres belges le connaissent. Il entretenait une relation drôle avec eux qui l’appréciaient malgré ses remarques durant toute la partie. En voyageant, il a découvert des cultures autrement qu’en allant visiter trois musées. Sur le terrain, il s’est toujours vanté de coller des timbres, maintenant je peux lui dire, qu’il aurait peut-être du éviter de les coller avec la tête. Pas simple d’arrêter si tôt pour lui, mais il a pris du recul, et je sais, comme lui, que c’est la bonne décision. C’est un sacré joueur qui, et je suis certain qu’il restera dans le rugby, il aime trop ça.

Retrouvez la finale de Coupe de Belgique 2016 remportée par le RC Dendermondse face à Soignies. 

Crédit vidéokipiktv

Merci à Pierre Leroux pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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Témoignage poignant, bon courage a lui!
Par contre, comparer le niveau de première division belge a du haut de tableau de fédérale 2, c'est presque insultant pour la F2...

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