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ÉDITO. Les vieilles cannes, témoins du match de leur vie...
Les vétérans figurent tels les rois d'une ovalie passée et présente.
Cette semaine, Pierre Navarron nous livre un texte en hommage au vétéran, ceux qui ont fait vivre le ballon il y a des années et qui continuent de l'apprécier.

Il jouait au rugby à l'époque du minitel, il tapait 3615 derrière un crochet intérieur et Ulla lui emmenait un trophée au décolleté plongeant, c'est à ce moment-là qu'il abandonne son ballon Wallaby, gorgé d'eau, au bord du terrain et s'en va vers une 3e mi-temps qui n'aura jamais de fin.
Il joue, maintenant, en vétéran, courant inutilement après ses jambes qui ne seront plus jamais ce qu'elles ont été, alors il accélère avec sa tête, ne trompant personne, sauf son ego qui a oublié l'adage du temps qui passe.
Il n'ose plus plaquer, plus vraiment en tout cas, préférant le toucher, ce joli prétexte du jeu d'évitement qui est à la vieillesse rugbystique ce que la diplomatie est à l'humeur belliqueuse ou aux idées divergentes.
Chaque jeudi, il va courir avec ses amis aux cheveux blancs ou rares, qu'il pleuve ou qu'il neige, ils s'en vont prendre leur bout de terrain, relégué au fond de la plaine de jeux, là où ne vont pas les jeunes pousses à l'acné juvénile qui sont les vedettes à venir.
Il râle comme avant, pour une passe qui ne vient pas, pour un touché raté et un essai de trop, il s'engueule avec ses partenaires ou ses adversaires du soir, gardant pour ultime hommage ces mots de rage qui lui rappellent le goût de la compétition.
Ils n'ont même plus un vestiaire pour la douche réparatrice, tous pris par des équipes juniors ou cadettes qui occupent le devant de la scène, alors il récupère sa bourse plastique avec, à l’intérieur, ses baskets et un sweat aux couleurs fatiguées.
Quelques vieux dirigeants, inusables et insolubles au temps, battent la semelle dans un en-but encore ensoleillé, indémodables, ils n'ont pas changé, toujours accrochés au 3615 et au téléphone filaire.
Ils échangent quelques amabilités moqueuses, presque toujours les mêmes, ça rigole et ça ricane, sans se prendre vraiment au sérieux, un humour potache qui détonne avec le teint buriné de leurs regards amusés.
Parfois, avec sa bande du toucher, ils se retrouvent pour aller boire un apéro qui se prolonge toujours, tant qu'il y aura des cacahuètes la nuit jouera les prolongations comme le film de Zinnemann avec Burt au violon et Déborah à l'accordéon.
Après l'apéro, c'est resto la plupart du temps, dans la vieille ville, là où les aristochats ne sont pas tous gris, alors qu'ils affrontent, en souriant, leurs démons les plus retors et leurs tentations les plus tenaces.
Ensuite, ils se retrouvent au parking des anges, là-bas il y a toujours un ballon qui traîne dans le coffre d’une voiture, il y aussi Ulla et son 3615 qui discute avec des lèvres en feu, on y trouve encore Johnny qui veut allumer le sien et Bashung qui lui répond que la nuit, il ment, malheureusement, il n'est pas le seul.
Dans la nuit des étoiles, ils rejouent un match qu'ils ont peut-être gagné ou plus vraisemblablement perdu, mais peu importe, ils refont le jeu sous la lumière de la lune, ça crie toujours, ça rie encore plus fort, ils finissent tous vainqueurs, en nage dans leurs chemises de boomer.
Comme à chaque fois, il n'y a pas d'arbitre, aucun coup de sifflet intempestif, le souffle est de plus en plus court, le rhum n'est pas l'epo de l'ancien joueur, l'haleine est 100 % sucre de canne et couleur de la Barbade.
Parmi tous ces nostalgiques de l'ovale, un peu fatigués, un peu bedonnants, on trouve toujours les " propres sur eux ", encore affûtés, sachant enchaîner deux sprints sans terminer les mains sur les genoux, ce sont les exceptions qui confirment la règle unique et universelle du "Tu ne peux pas être et avoir été".
Ces mecs en cannes sont les stars des vieilles jambes, ils relèguent les rhumatismes et autres soucis articulaires à des calendes peut-être grecques ou d'ailleurs et ils prolongent une jeunesse qui bout dans leurs artères.
Les autres, les regardent un peu jaloux, cherchant un sucre au bord de leurs tasses à café pour le casser sur le dos de ces vedettes de leur bout de terrain, jurant, en souriant, que bientôt, ils changeraient la donne, eux même ne croient pas à leurs incantations volontaires.
De toute façon, jeudi prochain, ils se retrouveront au fin fond d'une plaine de jeux pour faire bouger un ballon de main en main et refaire éternellement le match de leur vie.

Des hommes et un ballon où quand le rugby c'était les copains avant les datas et les résultatsDes hommes et un ballon où quand le rugby c'était les copains avant les datas et les résultats

Pierre Navarron travaille dans le consulting après avoir longuement exercé dans le domaine de l'assurance et de la gestion de patrimoine. Parallèlement à cette vie professionnelle, en 2005 il est devenu éducateur en cadet puis dirigeant à l'association Aviron Bayonnais. Il s'occupe plus particulièrement de l'équipe espoirs depuis 2014. Auparavant, presque dans une autre vie, il a été joueur, forcément dans son club de coeur, l'Aviron Bayonnais (1973-1987), puis à l'US Mouguerre (1987-1994) et au Boucau-Tarnos Stade (1994-1996).

"J'aime raconter le rugby, celui que j'ai connu, celui que j'imagine et celui que l'on voit.J'aime les histoires que ce ballon ovale nous donne avec ses rebonds de traviole, ses rires, ses chants et son folklore qui n'appartient qu'à lui et qu'on a tous dans le cœur.Je pourrai vous narrer les envolées de ces grands joueurs que j'ai croisé sur un terrain, comme toutes celles de tous ces anonymes, juste connu dans leurs villages, mais qui faisaient chanter la gonfle comme personne, je pourrai vous confier les débuts de ces rugbymen du top 14 d'aujourd'hui qui portaient déjà les espoirs, devenus nos certitudes contemporaines et qu'ils nous montrent, dorénavant, chaque week-end...Peut-être qu'un jour j'écrirai tout cela..."

 

Merci à Pierre Navarron pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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excellent merci!!!

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