Rugbynistère des Affaires Etrangères - Stade Cayennais : à quoi ressemble le rugby en Guyane ?
L'équipe du Stade Cayennais.
Professeur des écoles en maternelle, Anthony Niclas est l'objet d'un nouvel épisode du Rugbynistère des Affaires Etrangères.

Salut Anthony ! Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

J’ai commencé le rugby à 6 ans à l’école de rugby de Grand Champ (56). Puis par manque d’effectif en cadets, je suis allé au RC Vannes. J’y ai joué trois ans : Cadets (première année de coach de Spitzer, l’actuel manager de Vannes), crabos B et Reichel B (on perd en finale France contre Bourg-en-Bresse, mes coachs étaient Willfried Lahaie, ¾ RCVannes, et Thibaud Fritz). Je suis retourné à Grand Champ en Honneur pendant cinq ans, et j’ai participé à la montée en F3 pour la première fois de son histoire (2005). Pour des raisons professionnelles, j'ai dû aller à Quimper, où j’ai joué trois ans en F3.

En 2008, je suis arrivé en Guyane. J’ai joué au stade Cayennais deux ans, puis de 2010 à 2014, j’ai joué au COSMA de St Laurent du Maroni car j’avais mon premier poste de prof au bout de la route dans un village qui s’appelle Apatou, à 60 km. Je suis revenu au Stade Cayennais en 2014, jusqu’à présent. Je suis devenu président du club parce que Patrick, notre Dijono-Clermontois, plus vieux joueur de France qualifié en première ligne (véridique), a dû partir pour le boulot en Nouvelle-Calédonie. Il était le lien entre la génération des fondateurs et l’actuelle.

Comment en arrive-t-on à rejoindre un club de rugby en Guyane ?

En fait, on ne vient pas en Guyane pour jouer au rugby. On y vient parce qu’on a un projet professionnel, on accompagne son conjoint ou son épouse dans sa mutation, ou on vient la découvrir. Moi, j’y venais pour préparer mon concours de professeur des écoles et ma femme pour trouver un job dans le milieu social. Lorsque j’ai su que je partais en Guyane, j’ai tapé « rugby Cayenne » et je suis tombé sur le site du stade. J’ai fait appel à la grande famille du rugby pour me filer des tuyaux sur la vie, les locations de maison… C’est Stéphane, pilier et pilier du club (responsable de l’école de Rugby) qui nous (ma compagne devenue ma femme) a récupéré à l’aéroport.

Quelle est la situation du rugby là-bas ?

Nous sommes sept clubs : le COSMA de St Laurent du Maroni, le Rugby club de Kourou, les Luths (club loisirs de Kourou), les Vié Bagag (club loisir d’anciens de Cayenne), le rugby club du Tigre (Rémire Montjoly), les jaguars de Mana (école de rugby qui se monte doucement) et le Stade Cayennais. Seuls quatre clubs ont toutes les équipes des M6 aux séniors : le COSMA, le RCKourou, le RCTigre et le Stade. Les écoles de rugby se rencontrent le dimanche matin par plateaux mensuels. Les petits se lèvent vers 4h du matin certaines fois pour aller à St Laurent ou inversement quand ils viennent chez nous. Les jeunes jouent aussi le dimanche matin sur le même rythme.

Les M18, les séniors féminines et masculins disputent trois compétitions : un challenge à VII, une coupe d’octobre à décembre et un championnat de janvier à mai/juin. Les M18 et féminines, faute de joueurs, jouent à VII. Nous avons bon espoir de les passer à X l’an prochain. Le rugby guyanais se développe doucement. Nous sommes loin d’être le sport numéro 1. Nous sommes environ 8/900 licenciés, selon les années. Au club nous sommes 240 (le plus gros des Antilles Guyane) Nous avons frôlé les 300 il y a deux ans. Le foot, le vélo, le handball sont les sports rois.

MARTINIQUE : plongez au cœur de l'US Robert, champion local et vainqueur du Tournoi Antilles-GuyaneMalgré cela, nous arrivons - grâce aux efforts du comité et des tous les éducateurs - à former de bons joueurs et de bonnes joueuses. Le comité est en train de mettre en place un pôle, avec un centre d’entraînement labellisé. Fred Pomarel, devenu conseiller technique de la ligue Outre Mer, va nous aider à former nos cadres techniques, nos éducateurs. Le travail paie. Nous avons et avons eu des Guyanais pensionnaires de l’équipe de France (Meg Mambé et Anastase Léoté), une joueuse du Stade (Eliane Abisoina) repérée par Didier Retière quand il est venu en janvier avec B. Laporte, qui est en test actuellement à Marcoussis. Un ancien Kouroucien joue en espoir à Vannes (Alexandre Besnard), un autre joue à Brive et est aux porte de l’EDF (Benjamin Yarde). Un de nos jeunes M14 du club part dans la Breizh académie l’an prochain. Des gamins de l’ouest guyanais ont tapé dans l’œil de Laurent Viol. Bref, rapporté aux nombre de licenciés, on a des pépites, mais il faut les dégrossir, les tailler.

On n'a pas des gabarits comme en Nouvelle-Calédonie, mais il y a un potentiel jeunesse énorme (environ 40% de la population a moins de 16 ans). La sélection féminine est sextuple championne du tournoi Antilles Guyane, elle a obtenu cette année son ticket pour les championnats de France de Béziers. En plus, elle a fini deuxième du tournoi de Mexico, qualificatif pour le circuit mondial, qui lui permet d’aller à Baranquilla pour les Jeux d'Amérique centrale et des Caraïbes de 2018. Alors, on essaie d’activer nos contacts pour que les gamins soient vus, ou juste qu’on s’intéresse à nous.

Quid des infrastructues ?

Au niveau infrastructure, ce n'est pas la panacée, mais on s’en sort mieux qu’il y a quelques années. Le club s’entrainait sur un terrain sans vestiaires. Un point d’eau faisait office de douche et une superette de club house (ici pas de bar, de troquets mais tu peux boire des coups devant les 8 à 8, proxy…). Après vingt ans, le club a été mis dehors pour construction d’un terrain de foot (finalement, ils conservé le terrain de rugby !). Après des errances, la région Guyane a consenti la construction d’un terrain avec vestiaires, mais c’est tout. Pas de club house. Seules les Luths et St Laurent ont quelque chose qui ressemble à un vrai club house, mais construit de leurs propres mains.

Parle-nous un peu du Stade Cayennais maintenant !

Le club existe depuis 1966. Les séniors masculins, c’est 34 titres de champion de Guyane et 19 coupes de Guyane. Le tournoi Antilles-Guyane, c’est un peu notre championnat de France. Comme c’est compliqué de nous donner un niveau. Les clubs, au siècle dernier, ont décidé de se faire rencontrer le champion de chaque département. Le TAG était né. Les comités s’y sont greffés avec les sélections. Le Stade y participe sans discontinuité depuis 2008, avec quatre titres à la clé sur les neuf que le club possède : 2010, 2012, 2014, 2015 (avant 1992, 1993, 2000, 2001, 2002) Cette année, nous avons dû nous défaire d’une fière et vaillante équipe de St Barth malheureusement amoindrie pour rencontrer Le Robert de Martinique en finale. Véritable machine à gagner, ils ont montré toute leur puissance et leur vitesse, mais surtout leur envie de reconquérir un titre qui leur échappait depuis dix ans. St Barth et nous y sommes pour quelque chose.

Nous avons lutté, mais ils ont été meilleurs. C’est lors de cette rencontre que j’ai vu une des blessures les plus incongrues : notre deuxième ligne plaque un de leur joueur et subit. Il se retrouve la tête comme dans un casse noisette entre le sol et la hanche du gars. Résultat : comme dit le chirurgien du copain « Vous voyez un œuf dur que vous faites rouler en appuyant dessus, bien son visage, c’est pareil ! » Nez, sinus, mâchoire, palais, pommette. Tout y est passé. Il va bien mieux maintenant. Il finira comme Urios, y a pire ! Après cette finale, on a bien ri, bien fêté et on s’est promis d’aller au TAG de Guadeloupe en redevenant champion de Guyane. Nous avions mis en location le bouclier à Kourou pour un an. La saison terminée, on en profite pour faire des barbecues, des carbets (cabane en bois au bord de la rivière où on dort en hamac), tout en refaisant le monde rugbystique.

Si tu devais convaincre quelqu'un de rejoindre votre club, tu lui dirais quoi ?

Ce qui est top ici, c’est qu’on vient de partout : nord, sud, est, ouest de la métropole, mais on se retrouve tous sous le même maillot. On a des mecs qui viennent de tous les niveaux (même Pro  D2 !), d’autres qui découvrent le rugby. Notre capitaine est un Ch’ti qui n’avait jamais touché un ballon de rugby avant d’arriver en Guyane en 2008. En plus, à 8000 km des tiens, tes potes deviennent ta famille. On est tous et toutes les témoins des uns et des autres, les parrains des gosses des autres. La solidarité est exacerbée. T’as pas papa qui va t’aider à réparer ta caisse ou ton frangin pour t’aider à déménager.

Selon toi, qu'est-ce qui freine le développement de ce sport ?

Comme je disais, on souffre d’un manque de visibilité locale. Les médias ne s’intéressent que très peu au rugby des clubs. De fait, au Stade, nous n’arrivons pas à nous ancrer dans l’esprit des gens, et à avoir une couleur d’équipe plus mixte. J’admire St Laurent et les éducateurs qui donnent un temps énorme pour obtenir les papiers auprès des jeunes et de leur parents, rarement francophones. Les nôtres font du gros boulot mais ont cet obstacle en moins. L’autre bémol qui est lié, ce sont les finances. Quand tu envoies 30 gars aux Antilles pour cinq jours, plus les M12 double champion d’un tournoi Antillais, les parents mettent la main à la poche (60 000 € à trouver pour les deux équipes). On a des partenaires privés fidèles qui nous suivent mais ils se comptent sur les doigts d’une main. Certaines disciplines, ici, peuvent avec la médiatisation et la popularité monter un projet pour la métropole en un mois. Nous, pour avril l’an prochain, on a lancé le compte à rebours au coup de sifflet de la finale.

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"Affaires Etrangères" pour un Département d'Outre-Mer, c'est super moyen non?

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