EXCLU. Premier ballon, ambiance et Stade de France : Cédric Heymans revient sur le match d'ouverture de la Coupe du monde 2007
Un match compliqué pour les Bleus en 2007.
Cédric Heymans, consultant Canal+ et ancien international, revient sur ce match d'ouverture de la Coupe du monde 2007 face à l'Argentine.

La France a déjà connu une Coupe du monde sur son territoire. Pour notre tournée des stades, nous ne pouvions pas passer à côté du Stade de France et de ce match d'ouverture de la Coupe du monde 2007 face à l'Argentine. Une défaite d'entrée, mais une barre redressée par la suite. Cédric Heymans revient pour nous sur ce match "qui était une vraie réussite". Il se remémore son premier ballon avec humour : "Oui, je crois que c'était un jeu au pied, que je fais tomber en arrière. Je veux dégager et Pichot me fait une cuillère au moment de ma frappe. Ce qui est bien pour moi, c'est que je ne commets pas un en-avant. Mais c'est une belle entrée en matière (rires)." 

C'est pas trop dur de se ressaisir après ça ?

Étant plus jeune, ça m'a posé des problèmes parce qu'une première action réussie me permettait de rentrer dans le match. Et quand je la loupais, elle me polluait un peu. Mais la pratique du golf m'a permis de progresser. Il y a une phrase qui dit "mauvais départ n'empêche pas le par". La première action ne doit pas venir polluer et j'ai plus de 80 minutes derrière pour faire de bonnes choses.

Est-ce qu'on ne revient pas à cette époque avec le jeu au pied actuel ?

Ce qui est sûr et certain, c'est qu'on était qu'au début de l'utilisation du jeu au pied. Les Britanniques utilisaient déjà le jeu au pied de pression tactique. Nous, on l'utilisait beaucoup moins et on se rend compte que c'est une arme fatale pour se dégager ou se soulager. Mais aussi pour se relancer. Quand on voit des garçons avec des habilités comme Dulin ou Penaud pour aller chercher ces ballons hauts, ou même le petit Lebel qui a été très bon ce week-end, on se rend compte qu'on met la pression sur la défense et une fois sur deux on peut récupérer le ballon. Ça peut vous donner une arme supplémentaire sur votre adversaire.

C'était quelque chose qui était déjà travaillé à cette époque ?

En toute transparence, j'ai commencé à vraiment le travailler et le poser avec Gonzalo Quesada en équipe de France. Je me rappelle même une fois avec le Stade Toulousain d'un match face au Stade Français. On avait l'habitude de tout jouer quand on se déplaçait à l'extérieur. Cette année-là, on avait décidé de ne pas jouer et de mettre que du jeu au pied dans les angles, de pression ou de profondeur. On avait réussi à gagner ce match-là en développant très peu de jeu, mais en les mettant sous pression uniquement par le jeu au pied. Ça reste une arme redoutable, mais il faut que ça soit bien fait au risque de se mettre sous pression avec un contre. Toute l'équipe doit être concernée, pas que celui qui tape. Évidemment, il doit se concentrer sur sa frappe de balle, mais le passeur doit mettre le ballon sur la bonne jambe, tous les autres qui montent, ceux qui forment le rideau, ceux qui s'apprêtent à réceptionner le jeu au pied de retour et ceux concernés à la réception. Et si l'adversaire récupère le ballon, qu'est-ce qu'on fait ? On le maintient en haut ? On le fait passer au sol ? C'est une chose élaborée à 15 joueurs, pas à 3.

Est-ce que les Argentins n'étaient pas chez eux avec tous les joueurs du championnat en 2007 ?

Non, on ne peut pas dire ça. C'est surtout nous qui avons subi l'événement. Même pendant l'échauffement. La cérémonie d'ouverture a pris un peu plus de temps et on s'est retrouvés à court d'échauffements. Cette pression qu'on avait eue lors de l'arrivée au stade, etc. Les Argentins ont fait un excellent match, ils méritent de finir 3e de cette Coupe du monde. Il n'y a qu'à voir quand on a joué sans pression le quart de finale à Cardiff, loin de chez nous, loin de nos bases, on a réussi à gagner les Blacks. Quand on est revenus au Stade de France, on s'est remis la pression de suite. C'est une pression qu'on a subie et qu'on n'a pas dominée.

Une Coupe du monde à domicile est synonyme de pression ?

Bien sûr. Il faut s'isoler sans se couper. C'est la grosse difficulté. Ce qui est dur, c'est cette ambiguïté, une barrière fine entre s'isoler pour être hermétique à la pression et bien la vivre pour se rendre compte des enjeux qu'il y a autour. La difficulté est énorme et le juste-milieu dur à trouver. Personnellement, je suis partisan de s'enlever la pression et de vivre l'événement à fond. Mais ça ne regarde que moi.

La préparation mentale autour de ces événements était présente en 2007 ?

Tout avait été bien fait, mais je trouve qu'on a subi cet événement. C'est mon ressenti, il faudra demander aux autres. Et dès qu'on s'est dégagés de cela, on a fait un très bon match de poule et un bon quart de finale. Psychologiquement, on était capables de le faire et on l'a fait. Sauf que voilà, c'est un début de Coupe du monde qui nous oblige à faire des efforts pour aller chercher une demie au Stade de France. Tout avait été envisagé. Après, on n'attaque pas très bien le match, on le tient. Rémy Martin, fait une percée, il veut donner le ballon sur les extérieurs parce qu'il y a le surnombre et il se fait intercepter par le joueur le plus rapide qu'ils avaient. Et on n'arrive pas à le reprendre. On ne subit pas le match, mais sur la partie stratégique et tactique, ils étaient mieux que nous. Eux, ils n'ont pas produit beaucoup de jeu, ils nous ont contrés, agressés, contre ruck, grattage et jeu au pied.

Les discours de Lapasset et Syd Millar n'étaient pas trop longs ?

C'est ça, mais je n'ai pas vraiment de souvenirs de ce moment. Dans tous les cas, tout doit se préparer, s'anticiper. J'ai simplement le souvenir de nous voir avec ces vestes magnifiques, qui sont très belles et je l'ai toujours chez moi (rires). Elle est blanche, elle est magnifique. Mais on est aussi blancs que notre veste. Les Argentins, eux, sont dans la passion. Souvent, on dit qu'ils sont trop dans la passion, qu'ils y laissent du gaz, etc. Mais eux ne subissent pas l'événement, ils veulent dominer et nous, j'ai l'impression qu'on le subit un peu.

Ce n'est pas trop dur de se relancer mentalement ?

Je n'ai pas souvenir que les médias nous tombent dessus. J'ai le souvenir qu'on se dit "on s'est mis dans la merde donc maintenant, on va le faire". On n'a plus le choix, on ne va pas être la seule équipe à ne pas se qualifier. Donc on savait qu'on devait jouer l'Irlande, la Namibie et la Géorgie. On joue la Namibie à Toulouse, ça se passe bien, on a l'engouement du public avec le phénomène Chabal qui commence à monter. Derrière, on va à Marseille, une ville rugby et on retourne au Stade de France pour l'Irlande. C'est le match qu'on prend par le bon bout et les Irlandais sur ce match-là sont en grosse difficulté face à nous. On arrive plutôt gonflés à Cardiff en quart. On fait un bon match, ou eux font un non-match. Mais une des deux équipes fait déjouer l'autre.

Vous l'avez retrouvée cette sensation aux commentaires ou en supporter ?

Ah, mais je suis totalement dans la passion ! Pas en match de championnat, mais dès que la France joue, sur les hymnes, je peux avoir une montée de larmes. Je suis trop dans la passion parfois (rires). D'ailleurs, c'est pour ça que je me suis lancé un défi, parce que j'avais besoin de revivre des choses comme ça. Je me suis inscrit à un Ironman pour revivre tout ça : les limites, les sensations, etc. J'ai fait un half cet été et quand j'ai passé la ligne d'arrivée, je me suis dit "waouh, quelle sensation". Pas pour mon temps, qui était ridicule, mais pour les frissons avec mon fils et ma fille en courant. Le rugby procurait ça, et c'est ce qu'on n'a pas eu pendant ce match d'ouverture. On n'était pas dans la passion, mais dans la pression.

Si on continue comme ça, est-ce que ça ne va pas formater des générations ?

Je prends mon autre casquette de commentateur, en ce moment, c'est dur de jouer sans public. Je pense que ça aide les équipes pour voyager, et même les arbitres, on les sent moins sous pression. Il faut que je fasse plus attention à mes mots (rires), mais peut être plus enclin à arbitrer sous moins d'influence. Grâce à Canal+, j'ai la chance de continuer à vivre ma passion. Commenter sans public, c'est chiant. C'est chiant parce qu'on a tout : des joueurs mieux préparés, du jeu plaisant, etc. Mais tout l'à côté n'est pas là et quand on est dans la passion c'est très dur à vivre. Quand je commente, je regarde très peu l'écran, je regarde le stade, de manière plus large. Et on voit des tribunes vides. Hier, je regardais Augusta, il y avait 5 000 personnes alors que d'habitude, c'est monstrueux. Même si là, ils avaient ouvert à 10 % de la jauge. Ça joue dans les deux sens, quand vous jouez à domicile, vous savez qu'ils peuvent vous soutenir. La performance du Stade Toulousain en Coupe d'Europe, à Limerick, quand tu mets le public ce n'est pas la même couleur. Même si avec public, Toulouse aurait gagné. Ou même Clermont, tu sens qu'il y a moins de pression !

Je pense que cette génération est armée de ce côté-là. Ils sont de plus en plus jeunes, ils sont de plus en plus prêts à vivre de grands moments, ils sont formés et préparés. Ils sont moins surpris que ce qu'on pouvait être. Au tout début, quand tu arrivais, tu passais de junior où il y avait tonton et tata sur le bord du terrain avec l'odeur de la merguez et du barbecue, à un stade à 8 000 personnes. Tu prenais une forme de pression. La nouvelle génération est formée, il n'y a pas de soucis.

Est-ce important de jouer devant un public traditionnellement moins "rugby" ?

Il y a des supporters, mais le match d'ouverture est quand même un match pour les officiels. C'est un match de cérémonie, où on lance un événement. C'est plus quand on arrive en province, comme quand on est arrivés à Toulouse face à la Namibie. Là, on a un stade acquis à notre cause. Ensuite, on va à Marseille. C'est beaucoup plus facile d'avoir le public derrière soi que sur un match d'ouverture, même si on n'avait pas de soucis de public ce jour-là. Ce n'est pas ça qui fait défaut.

Il n'y pas de pression pour le XV de France aujourd'hui ?

J'espère que l'excitation n'est pas à son comble, c'est bien trop tôt. Après que les joueurs fassent tout pour y arriver, c'est autre chose. C'est proche et à la fois loin, on peut passer par des moments de certitude et de doutes, il peut y avoir une blessure, etc. Mais oui, de l'avoir en feed-back comme objectif de début de carrière, de fin de carrière, oui. Mais justement, il faut rester loin de toute cette pression. Je ne pense pas que les joueurs qui ont joué en Coupe d'Europe hier pensaient à la Coupe du monde 2023. L'événement est lancé, tu sais que ça va arriver, mais tu ne prends pas la pression. Au contraire, tu te dis que c'est parti. Mais tu n'es pas sur la ligne de départ encore, toi en tant que joueur, tu n'y es pas encore.

Il ne faut pas parler en pression ! C'est en évolution. La France était dans une position mondiale un peu en retrait, elle revient aujourd'hui dans les premiers rôles. Elle devait gagner des titres, on a terminé deux fois deuxièmes, mais le contenu progresse et cette équipe de France progresse. On n'a pas gagné de titre, mais on n'est pas à l'arrêt, on avance. La seule chose qu'il faut se dire en tant que joueur, c'est "si je suis dans le groupe tant mieux". Mais si tu n'y es pas, tu as encore le temps de prendre le train. Je vais reprendre une phrase de Guy Novès, le plus dur, ce n'est pas d'être champion, c'est de le rester. Tu es prêt à faire des sacrifices pour être champion, mais quel sacrifice tu es prêt à faire pour le rester ? Une fois que tu as goûté à ça, est-ce que tu as les ressources pour le garder. La plus grande difficulté, c'est de remonter sur le ring une fois que tu as été champion.

Quel est le favori selon vous pour la Coupe du monde 2023 ?

Ce sont toujours les mêmes. Enfin… C'est tôt pour le dire. J'aimerais qu'il y ait un nouveau champion, mais le champion actuel veut rester champion. L'Australie veut redevenir championne, l'Angleterre a envie de se dire "si on a bien une Coupe du monde à gagner, ce serait celle en France avec notre public pas loin". Le Pays de Galles aussi, l'Écosse monte en puissance et le Japon sera à gérer. Donc c'est bien trop tôt. Et puis quand bien même, on peut essayer d'établir une hiérarchie mondiale, mais il y a la loi de la Coupe du monde. Et c'est ce qui en fait toute la beauté.

Un petit mot sur les Bleus de Fabien Galthié qui performent depuis un an ?

Je suis ravi parce que ça regagne, parce que le jeu proposé est validé par les joueurs. Le message passe entre les joueurs et le staff et je ne vois pas de lacunes dans le jeu, cette équipe est en train de grandir, elle apprend. Le fait d'avoir des joueurs avec une moyenne d'âge faible, on va pouvoir monter en pression avec des joueurs qui auront beaucoup de vécu ensemble. Ensuite, il faut s'inscrire dans la victoire avec des trophées. Il faut gagner. Et gagner, ce n'est pas gagner l'Angleterre en Angleterre ou l'Irlande en Irlande, c'est cocher son nom sur une ligne. Je dis ça et ça fait écho à ce que je disais : "ça y est, on a gagné quelque chose". Ça peut être un Tournoi, une tournée, une série de matchs. C'est donner le goût de cocher son nom sur une ligne. C'est se dire, "c'était tellement bien, je veux plus". Et ceux qui voudront plus, ce sont ceux qui seront à la Coupe du monde 2023 en France.

Prochaine étape vers 2023

Rendez-vous à l’automne 2021, date à laquelle de nouveaux produits ainsi que les premières places des phases finales seront disponibles pour le grand public

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  • Manu
    20161 points
  • il y a 2 ans

très bonne analyse d'Heymans

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