C’est une histoire des plus atypiques que nous a conté Fabien Rouglan, président de l’US Aspoise. Si vous évoluez dans le rugby amateur, vous connaissez la place, ô combien précieuse, des bénévoles qui font vivre chacune de nos institutions.
À Bedous, dans les Pyrénées-Atlantiques, l’US Aspoise, pensionnaire de Régionale 2, a la chance de pouvoir compter sur Henri Lembeye, 80 ans, toujours prompt à donner un coup de main lorsqu’il s’agit de tracer les quatre lignes blanches, si chères au cœur des passionnés de la balle ovale.
L’histoire touchante de ce bénévole, ancien joueur, entraîneur, soigneur et président du club, force le respect. Et ce n’est assurément pas un hasard si l’actuel président de l’US Aspoise dit s’inspirer de celui qu’il considère « comme un héros ».
Rugby Amateur. Match arrété plus de 1h30, que dit le règlement ?"Notre entraineur parle souvent de cet homme lors des avants-matchs"
Inutile de chercher les mots lorsque Thibault Lassalle, le capitaine de cette formation avec laquelle il a décidé de faire durer le plaisir après une magnifique carrière professionnelle, prend la parole lors des avant-matchs.
Fabien Rouglan, qui dépanne régulièrement avec la réserve du club malgré ses 40 barreaux et sa fonction de co-président, l’explique : jouer pour des personnalités comme Henri Lembeye constitue forcément un levier de motivation supplémentaire.
« Forcément, tout le monde le connaît au club. Chez nous, il y a beaucoup d’enfants et même de petits-enfants d’anciens joueurs, donc tout le monde connaît Henri. C’est simple, c’est quelqu’un qui va fêter ses 80 ans en janvier, il est au club depuis ses 17 ans. Il a joué jusqu’à 42 ans. D’ailleurs, il était déjà là quand le club a monté les tribunes, l’éclairage, etc. Il vit pour le rugby, c’est vraiment sa passion ».
« Notre entraîneur parle souvent de cet homme lors des avant-matchs. Nous avons la chance d’avoir un capitaine et un coach qui aiment l’histoire du club. Henri est tout le temps au stade, il ne rate pas un seul entraînement. À chaque fois, il vient dire bonjour aux joueurs, il prend des nouvelles des blessés aussi. Pour moi, c’est un héros. Sur les matchs un peu compliqués, penser à lui, ça tire forcément tout le monde vers le haut. »
Henri Lembeye derrière l'US Aspoise dans les moments difficile
Vous en conviendrez, le rugby amateur est une énigme ô combien difficile à résoudre. Il offre par moments tantôt des instants de liesse, avec des épopées légendaires en phases finales, tantôt des descentes successives et des saisons très mitigées.
Fabien Rouglan le dit lui-même : « j’ai beaucoup plus perdu que gagné ! ». Malgré un titre de champion de France 2018 de 4e série, il est difficile d’assurer une continuité lorsque l’on est un petit club, niché au cœur d’une vallée, à proximité de mastodontes comme Pau ou même Oloron.
Si ces dernières saisons le club semble parfaitement structuré, avec deux équipes seniors, une école de rugby et des équipes féminines en entente avec le voisin d’Oloron, cela n’a pas toujours été le cas malheureusement.
Mais dans ces moments de creux, les joueurs de l’US Aspoise pouvaient toujours compter sur Henri pour les encourager.
« C’est un vrai montagnard. Il ne s’exprime pas trop, il garde beaucoup de choses pour lui, mais il a toujours le mot gentil envers les joueurs. Il est toujours positif, même quand on perd, ce n’est jamais de notre faute ! Il a toujours été là pour nous amener du réconfort lors des saisons compliquées. Et d’ailleurs, il y en a eu. Moi, j’ai plus perdu que gagné avec le club. Par contre, on a toujours pu compter sur lui. »

Seul un voyage en Alsace a eu raison du supporterisme de Henri Lembeye
Et pour cause : ce supporter invétéré n’aurait manqué qu’un seul match, et pas des moindres. En 2018, lorsque l’US Aspoise se qualifie pour la finale du championnat de France de 4ᵉ série, Henri Lembeye se trouve en voyage pour visiter l'Alsace.
Nul doute que l’amertume ait alors gagné l'Aspois, lui qui n’aurait évidemment raté cette rencontre sous aucun prétexte. Tout au long de sa vie, il n’a cessé de témoigner son amour pour le club, allant même jusqu’à faire sauter, ou écourter, des repas de famille.
« Pour ses 50 ans de mariage, il est parti au milieu du repas pour venir nous voir jouer », raconte Fabien. Sa fille, confirme qu’il est même arrivé qu’Henri zappe certains repas familiaux pour assister à un match de rugby.
Pas sûr pour autant que ce gaillard d’environ 80 kilos soit fâché avec la fourchette, mais la passion du rugby l’anime au quotidien. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il enfile encore aujourd’hui cette combinaison bleue, maculée de plâtre, qui lui sert à tracer les lignes, « toujours impeccable », selon le président.
Le goût du travail bien fait, il l’a façonné tout au long de sa vie professionnelle. Maçon de métier, Henri est, toujours selon sa fille, quelqu’un qui n’entreprend que par passion.
« Il a toujours aimé travailler, il adorait travailler la pierre lorsqu’il était maçon. C’est vrai qu’en dehors du rugby, il n’a pas forcément beaucoup d’autres centres d’intérêt. Avant, il faisait pas mal de randonnée, mais le rugby prend énormément de place dans sa vie. Après, bien sûr, il aime tous les autres sports… et il adore manger ! », confie-t-elle.
"il a vraiment de gros mollets"
Vous l’aurez deviné, Henri Lembeye n’est pas du genre à se mettre en avant ni à fanfaronner en public. Il n’est pas non plus superstitieux. Pas de pull, de tee-shirt ou de chaussures fétiches : lui ne croit qu’en une seule chose, la volonté de faire.
Il s’est également investi au conseil municipal de son village d’Ossès, situé à deux kilomètres de Bedous et du stade Pierre-Leyrat. Là-bas, ce qui marque les gens, au-delà de sa petite taille et de sa carrure d’ancien talonneur, ce sont ses impressionnants mollets.
« Oui, il a cette combinaison bleue pour tracer le terrain, mais ce qui frappe chez lui, ce sont ses mollets. Il a vraiment de très gros mollets. D’ailleurs, à l’époque, il étirait ses chaussettes pour pouvoir les enfiler. Il les montait tout le temps. C’était aussi l’époque où l’on jouait avec des protège-tibias et des chaussures montantes », se souvient Fabien Rouglan.
Pas sûr qu’Henri ait un jour franchi la porte d’une salle de musculation. Chez lui, tout est naturel, façonné par les pentes et les chemins de la vallée d’Aspe. Avec, selon sa fille, une bonne part de génétique, au point d’évoquer un trait physique commun à toute la famille.
La passion chevillée au corps et d’une discrétion efficace, nul doute qu’Henri Lembeye continuera encore longtemps à tracer, patiemment, les lignes de ce terrain cher à son cœur. Comme il l’a toujours fait : sans bruit, mais avec l’amour profond de ceux qui savent que le rugby, à Bedous comme partout en France, se construit aussi à coups de plâtre, de fidélité et de dévouement.
