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''Je ne comprends plus rien'', lance l'entraîneur du Stade Toulousain féminin Pascal Belaubre
Pascal Belaubre (Toulouse) se questionne sur l'avenir du rugby féminin. Crédit photo : Stade Toulousain Rugby
Pascal Belaubre, co-entraîneur du Stade Toulousain féminin, est dans l'incompréhension la plus totale face à la situation actuelle.

La situation actuelle avec la COVID-19 amène son lot de débats sur les choix de nos instances dirigeantes, incompréhensions pour certains. Le rugby féminin n’échappe malheureusement pas à la règle, et il arrive un moment où ces incompréhensions font place à la colère, le bon sens semblant parti en fumée, et les lignes directrices du rugby féminin français au sens large apparaissant alors bien opaques et difficiles à suivre. Bien évidemment, cette situation exceptionnelle nous amène tous à devoir nous adapter, faire des compromis, et j’en suis bien conscient. Ces compromis prennent vie dans le dialogue et l’écoute et surtout, ils doivent aller dans le sens de l’intérêt commun de notre sport. J’ai l’impression que les décisions prises sont du perdant-perdant sur bien des aspects, celui de l’intérêt du rugby féminin, celui du XV de France féminin, celui des clubs et celui des joueuses.

Le co-entraineur au Stade Toulousain féminin que je suis, avec environ 10 joueuses sélectionnées régulièrement avec le XV de France, la sélection Italienne et Espagnole, a forcément un point de vue partisan sur certains aspects. Dont acte, pour autant, tâchons de nous élever un peu et posons-nous uniquement en amoureux du rugby, du rugby féminin, du rugby féminin français. Depuis maintenant 4 ans que je suis investi dans le rugby féminin, les nombreux échanges avec les différents acteurs (dirigeants, staff, joueuses, instances) ont amené les débats sur différents enjeux majeurs de notre pratique :

  • la lisibilité et l’attractivité du championnat féminin. Ce dernier offre actuellement trop de disparité de niveaux entre les équipes, il y a trop de rencontres très déséquilibrées dont l’issue ne fait pas de doute, ces écarts nuisent à l’intérêt et l’attractivité de notre pratique pour les spectateurs, pour les joueuses, et pour des diffuseurs éventuels ;
  • l'intérêt du rugby féminin, et les intérêts du XV de France avec en ligne de mire la coupe du monde en Nouvelle Zélande en septembre de cette année ;
  • et enfin une certaine équité, en essayant de ne pas créer de doublons à l’instar des professionnels masculins et de toutes les problématiques que cela peut engendrer.

Sur ce pont de l’équité, il est d’ailleurs important de ne pas mettre en opposition les richesses des effectifs. Tous les clubs ont les mêmes règles à appliquer, les mêmes libertés d’organisation de leur structure, de leur formation, de leurs entraînements, de leurs staffs. De même, les joueuses sont libres dans leurs choix de club, pour trouver celui qui leur convient, dont l’environnement correspond à leurs attentes, personnelles, professionnelles et rugbystiques. Cette équité avait d’ailleurs été évoquée sur le sujet des descentes. Selon certains, la COVID ayant provoqué de l’iniquité dans le championnat, il fallait remettre en cause les 4 descentes initialement prévues. Pourtant, dans la refonte du championnat proposée suite au COVID, il n’y avait aucun doublon sur la phase de playdown qui décidait des descentes. Pourquoi remettre alors en cause ces 4 descentes sauf à vouloir cultiver le discours comme quoi le championnat ne prépare par les internationales pour le haut niveau ?

Je ne comprends pas.

Mais venons-en au principal propos : la refonte du calendrier suite au COVID, et la nouvelle refonte suite au décalage du tournoi des VI Nations. Un coup de gueule ? Oui, car je trouve que la proposition ne va ni dans le sens d'une lisibilité du championnat, ni dans le sens de son équité et enfin ni dans celui de l'intégrité des joueuses non internationales et internationales, et donc de l'intérêt du XV de France. Sur la forme, la manière de procéder m'apparaît tout simplement lamentable, sans dialogue, sans échange, sans concertation. Ce n’est pas acceptable d’être mis devant le fait accompli alors que cela fait plusieurs semaines que l’on sait que le tournoi est reporté. Qu’il y ait un aménagement du calendrier, et des compromis, bien sûr, mais qu’il n’y ait ni dialogue, ni échange et les seules concessions côté club, pas d’accord.

Les faits

Ce qui devait se faire, lors de la reprise du championnat en janvier, était de finir la première phase de poule et les deux premiers matchs de la deuxième phase sans les internationales. Cela représentait 4 matchs sur les 8 potentiels restants de la phase régulière sans les internationales, mais « seulement » 2 sur les 6 de la phase qualificative pour les demi-finales. Un bon challenge, pas facile quand on est privé de près de 10 de ses meilleurs éléments, surtout pour 2 rencontres d’une poule de 4 (imaginons juste la Coupe d’Europe masculine avec cette configuration…). Mais un vrai challenge avec une certaine cohérence, de la visibilité et de la continuité. En effet, à leur retour, les internationales participent à la fin de la phase qualificative du championnat et enchaînent sur les phases finales et un possible titre. De la lisibilité également, puisqu'avec la formule initialement prévue cette année, la deuxième phase permettait d'opposer des équipes de niveaux similaires, et d'avoir les meilleures joueuses à disposition des clubs. Sur le plan de l’équité, cette formule affectait « uniquement » 2 des 6 matchs de qualification en privant les différentes équipes de leurs meilleurs éléments. De la continuité et de la visibilité enfin, pour les joueuses sollicitées pendant les absences, l'équation est connue, 3 mois pour prendre un maximum de plaisir et s'exprimer tout en sachant devoir sans doute laisser sa place un peu plus tard, comme le veut la loi du sport.

Cette formule apparaît intéressante pour le rugby féminin, avec des rencontres de niveau TOP 8 sur les 6 journées, profitable donc pour le haut niveau et le XV de France, et attractive pour un éventuel diffuseur, avec des rencontres de plus haut niveau, plus équilibrées. Certes, il y avait quatre doublons en tout, dont deux doublons en 2ème phase, mais ce compromis paraissait acceptable, il avait du sens. Le 13 janvier, la décision est prise, légitime à mon sens, de reporter le tournoi des VI Nations. Depuis, c’est le silence radio jusqu'à vendredi 29 janvier dans la soirée, où une réunion-annonce tombe concernant un nouveau calendrier, sans aucune concertation des clubs (en tout cas pas du nôtre dont pourtant des éléments font partie des commissions travaillant sur les calendriers). Cette annonce :

  • sur les deux derniers matchs de la phase 1, seul le dernier se fera avec les internationales. Pourquoi pas les deux ? pour permettre la tenue d'un stage du XV de France qui commence un lundi. L'adaptation pour les joueuses qui auraient évolué le dimanche semble impossible... alors qu’il n'y a pas de rencontre prévue le week-end prochain... alors que le groupe France s'est réuni déjà durant 1 semaine et demi 10 jours auparavant… alors que le tournoi doit démarrer le 03 avril après 2 semaines de préparation, soit dans plus de 8 semaines.
  • sur la phase 2, et ses 6 matchs de qualification (poule de 4), 3 matchs devront se faire sans les internationales, les 3 derniers, dont 2 pour positionner des matchs « amicaux » [sic].

Quoi ? Allez-vous me dire. On est en train d'essayer de caler des dates dans un mouchoir de poche et on cale deux doublons sur deux matchs hors tournoi. Et bien oui, en fait, en cette période trouble, tout le monde doit s'adapter, le Tournoi le fait en proposant une formule réduite, 2 poules de 3 équipes, 2 matchs par poule, et une opposition finale entre 1er, second et 3e. Tout le monde s'adapte, presque, le championnat domestique et ses clubs oui, le tournoi oui, mais les 5 matchs prévus par le XV de France non...

Le premier match amical est mis dans un « trou » dans le calendrier des VI nations. Les conditions sanitaires me font dire « OK, les équipes sont dans une bulle sanitaire, je comprends qu’on ne puisse pas disposer des internationales ». Mais le deuxième match amical est positionné après la finale du VI Nations, pendant une journée de championnat… Là, vis-à-vis des clubs, de l’équité du championnat et même du besoin pour le XV de France qui sortira de 4 matchs et 2 semaines de stage, le scepticisme se mêle à l’interrogation…

Je ne comprends pas.

Mes questionnements

  • qu’en est-il de l'équité sportive dans ce championnat quand la moitié des matchs sont des doublons ? Ajoutez à cela les contrats à 7 qui n'ont plus du tout le droit de jouer avec leur club, l’addition commence à être corsée.
  • qu’en est-il de la lisibilité pour d'éventuels diffuseurs si les meilleures joueuses ne participent pas à ces matchs ? Et donc qu’en est-il de l'intérêt du rugby féminin si ses meilleures représentantes ne s'expriment pas avec leur club ?

Par ailleurs, avec un tel calendrier se pose assez naturellement la question de l'intégrité physique des joueuses. Les internationales seront sans doute très sollicitées sur la période clubs, ces derniers ne les ayant que peu de matchs. Si derrière elles enchaînent sur les 5 matchs internationaux, puis sur la demi et la finale, cela fait 11 matchs en 14 semaines, après 3 mois sans matchs officiels. Avoir un « trou » en supprimant les matchs amicaux me semblerait une bonne chose.

Et je m’inquiète également pour mes joueuses qui vont compenser ces absences. Quand tous les managers ont composé leurs effectifs en début de saison, sans doublons de prévus, ils n’avaient pas envisagé d’avoir la moitié du championnat à disputer avec un effectif amputé « artificiellement », et donc à disputer des matchs en alignant de très jeunes joueuses, non expérimentées et qui dans une situation « normale » auraient surtout continué leur formation. Oui, je suis pour donner la chance aux jeunes, non, je ne suis pas pour les livrer en pâture.

On peut regretter que le tournoi n’ait pas été reporté à la fin du championnat en Juin, Juillet ou Août dans cette formule réduite. Cela aurait permis une équité parfaite, une gestion de l'intégrité parfaite, une préparation avec des matchs pour la coupe du monde, une lisibilité parfaite du championnat.

Pourtant il y a pire encore. La commission Provale féminin va proposer « sa » formule : il s’agit de la même que celle de la FFR, mais avec un doublon de plus… tout cela pour casser un bloc de 4 matchs en 4 semaines. Ce discours est porté par l’argument de la fatigue et le risque de blessure, principalement par les joueuses des clubs luttant pour le maintien. Mais le fait qu’à cause des doublons, des joueuses qui n’auraient jamais foulé une pelouse d’Elite 1 car non prêtes soient sur le pré ne les dérange pas. Mais le fait qu’à cause des doublons des effectifs d’Elite de 30 joueuses se retrouvent privé de 10 joueuses faisant de la chair à canon des autres joueuses disponibles ne les dérangent pas non plus.

Là encore, je ne comprends pas.

Pour résumer la situation

Nous risquons de passer d’un championnat à 16 équipes sans doublon, qui devait amener à 4 relégations pour retrouver de l’attractivité et un niveau plus homogène, plus propice à préparer au haut-niveau les internationales, à un championnat qui va amener à rester à 16 (ou au mieux passer à 14 équipes), avec 4 ou 5 doublons, dont 3 ou 4 sur la phase qualificative des play-off… De plus, des internationales qui, si leurs clubs ne sont pas qualifiés, auront joué 2 ou 3 matchs de championnat, est-ce une bonne préparation ? Où est l’intérêt du rugby français, de son championnat, du XV de France ? Où est l’équité ?

Ma proposition

Je garde en mémoire un événement un peu similaire concernant la 3e journée de championnat. Elle devait initialement se faire sans les internationales, pour les laisser partir en stage le lundi. Cette décision sans dialogue, imposée, fut finalement réétudiée, à force d’échanges, d’appel au bon sens, permettant ainsi de faire pratiquer les joueuses dans l’intérêt de tous. J’espère une issue similaire. Sans tout bouleverser, il me semble assez aisé de rester sur la proposition de la FFR, en supprimant le match amical post-tournoi permettant ainsi de n’avoir « que » 2 doublons sur la phase 2 « PLAYOFF » et AUCUN sur la phase 2 « PLAYDOWN » (équité donc pour les descentes). La cerise sur le gâteau, mais je n’y crois guère, serait ne pas remettre en cause le passage à 12 pour l’an prochain.

Il me semble que cette proposition respecte l’équité (limitation des doublons), la préparation du XV de France (juste un match amical supprimé), l’intérêt du rugby féminin avec un championnat qui peut bénéficier de ses meilleurs éléments. Oui 4 équipes, quitteraient l’Elite 1, mais c’était initialement prévu. Les scores constatés montrent l’existence de cette différence de niveau aujourd’hui. Dans cette proposition, la phase PLAYDOWN n’a pas de doublon. Pour la journée du 07 février, qui était suivi d’un stage XV de France démarrant le lundi, nous avons essayé de nouer le dialogue afin que ce stage puisse commencer par de la récupération pour finir sur de l’intensité : il nous a été répondu : « que cela venait d’en-haut » [sic]. 

Mais là-haut comment voyez-vous les intérêts du rugby féminin ?
Je ne comprends pas.

Descendez nous expliquer, échangeons, dialoguons, s'il-vous-plaît.
Il en va de l’intérêt du rugby féminin, de celui du XV de France, de celui des joueuses.
Et puis s’il-vous-plait, j’ai besoin de comprendre.

Merci à Pascal Belaubre pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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  • Manu
    20510 points
  • il y a 3 ans

Surréaliste !

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