''Parole de père'', la dernière chronique de Jacques Verdier dans le Midi Olympique
Jacques Verdier était un amoureux du rugby.
Jacques Verdier, ancien directeur de la rédaction du Midi Olympique, est soudainement décédé samedi à l'âge de 61 ans. Voici sa dernière chronique dans le journal.

"Midol, c’était Jacques. Et Jacques, c’était Midol." Les mots du journaliste du Midi Olympique Nicolas Zanardi font sens. Jacques Verdier a été l'âme du plus célèbre journal sportif dédié au rugby pendant tant d'années. Arrivé au sein de la rédaction du "jaune" en 1980, il en a été le directeur entre 1997 et 2018. Ancien troisième ligne pour Saint-Gaudens en Haute-Garonne, il était amoureux de ce sport. Il a connu l'évolution de la discipline, sa professionnalisation, des grands moments de sport comme la finale historique de la Coupe du monde 1995 en Afrique du Sud, les hauts et les bas de l'équipe de France mais aussi du rugby en général. Aussi son regard était tantôt admiratif tantôt critique.

C'est à la fois un sport de combat et d'évitement. Mais c'est surtout le seul sport de combat collectif. C'est très important et même essentiel car ça veut dire que j'ai besoin de l'autre. Toutes les valeurs qu'on prête au rugby sont inhérentes au jeu. Un avant, aussi fort soit-il, s'il est seul, il ne sert à rien. C'est un sport éducatif extraordinaire. On y apprend le courage, le don de soi au service de l'autre. Il peut être difficile d'accès pour le commun des mortels mais c'est un sport intelligent, j'en suis convaincu.

Vendredi, à la veille de sa disparition soudaine à l'âge de 61 ans, et bien que néo-retraité, il avait adressé ce qui sera sa dernière chronique au Midi Olympique. Nul doute qu'en cette période compliquée pour le rugby français, ses mots trouveront une fois de plus un écho chez les amoureux de ce sport.

Le jour où l’un de mes fils, victime d’une double fracture du plancher orbitaire et de la pommette, décida à 19 ans, la mort dans l’âme, d’arrêter de jouer au rugby, j’en fus singulièrement soulagé. Sa mère, lassée par les diverses fractures qu’il avait dû essuyer auparavant (cheville, arrachement des ligaments de l’épaule), n’était pas pour rien dans l’affaire. Elle ne comprenait pas que l’on puisse sacrifier ses études et sa santé dans l’exercice d’un sport qui, chaque semaine, apportait son lot de contusions, de confusions.

Comment exprimer cela au plus près de mes sentiments ? Comment expliquer sans effusion ni ridicule, qu’un homme qui a passé le plus clair de sa vie à aimer un sport, à le mythifier, à le prolonger par la parole ou l’écrit, qui y a trouvé des amis, qui y a puisé des exemples, qui lui a prêté, toute subjectivité bue, plus de vertus qu’aucune autre activité sportive ne pouvait à ses yeux en déceler, puisse être « soulagé » de voir son fils cesser cette pratique ? Par quelle aberration en est-on arrivé là ? Par quel dévoiement, quel crétinisme ?

Je redoutais au fond de moi, comme de trop nombreux parents désormais, que ne survienne un drame comme celui qui vient de coûter la vie à Nicolas Chauvin, quatre petits mois seulement après le décès de Louis Fajfrowski, et sept mois après celui d’Adrien Descrulhes. J’essaie humblement aujourd’hui de me mettre à la place du père de Nicolas, appelé, lundi dernier, au chevet de son fils plongé dans le coma. J’essaie d’imaginer l’horreur. L’indicible chagrin. Un gosse qui meurt, à 19 ans, et le monde qui s’écroule. Comment accepter cela ? Comment ne pas hurler ?

Le rugby était un sport de fête, un jeu fraternel, qui ne faisait certes pas toujours dans la dentelle. Il arrivait que, comme chez les Gaulois d’Astérix, on s’y file des baffes plus souvent qu’à notre tour, mais c’était, dans la grande majorité des cas, pour mieux s’y rejoindre le match terminé, festoyer de conserve, échanger, débattre. Qu’est-il devenu ?

Sur fond de primat économique – il n’est plus question, de toutes parts, que de revenus, de bénéfices, de transferts mirifiques – dans une quête sauvage et éperdue d’un « toujours plus » délétère, on a fabriqué des monstres bodybuildés dont le dessein premier est aujourd’hui de « casser la ligne » et d’asséner des plaquages comme autant de coups de fusils. Et tout ça pourquoi ? Pour favoriser l’ego de quelques présidents en mal de reconnaissance, la force d’une compétition qui se repaît de ralentis sulfureux, l’avidité d’un nouveau public soudainement rendu aux jeux du cirque.

Mesure-t-on l’effroyable bêtise de cette évolution ? Mesure-t-on à quel point ce sport intelligent, aux règles complexes, qui en a longtemps appelé à des codes chevaleresques, qui s’est enorgueilli d’élever ses enfants au rang d’hommes, sur fond de courage, de générosité, de respect de l’autre, s’est déshumanisé en vingt ans ? Est-ce là, la formidable « modernité » des choses ? Est-ce cela que l’on veut pour nos enfants ?

La Ligue et la Fédération en appellent désormais à World Rugby pour que le règlement soit enfin revu et corrigé. Pour que cesse ce rugby de « muerte » qui, si on ne fait rien, conduira demain à d’autres décès, à d’autres drames. Mais n’est-il pas déjà trop tard ? C’est qu’il faut tout repenser dans ce sport, tout refondre. Ce ne sont pas des « mesurettes » qui vont changer le cours des choses. Mais qui osera s’attaquer au fond du problème ? Qui aura le front et les moyens de dire Non ! De dire basta ! Qui saura résister à l’insupportable mouvance actuelle ? Qui ?

Le Rugbynistère tient à témoigner tout son soutien et ses plus sincères condoléances à la famille de Jacques Verdier ainsi qu'à ses proches.

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Très belle chronique, il ne devait pas savoir que c'était sa dernière en l'écrivant mais elle a presque une résonance testamentaire pour un tel passionné. J'espère qu'il sera entendu et que quelqu'un saura s'attaquer courageusement aux problèmes de sécurité car comme lui je ressent comme un certain malaise maintenant quand je regarde ce sport que j'aime tant être pratiqué avec un esprit aussi destructif. La métaphore du jeu du cirque est très bien choisie pour illustrer l'indécence du spectacle actuel

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