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La vie du rugby amateur : les vestiaires
Parce qu'un match, ça commence dans les vestiaires.
Dimanche, 14h. Dehors, le soigneur remplit ses gourdes, l’entraîneur dispose ses plots. L’estomac bétonné de pâtes et de poulet, tu rejoins ta place machinalement. Le rituel du vestiaire peut commencer.

Un silence de cathédrale s’installe peu à peu. Du sac à tes pieds, tu extirpes une paire de chaussettes trouées au talon et un bout de tissu nauséabond qui fera office de short. Encore une fois pas de miracle, tes affaires ne se sont pas lavées toutes seules depuis vendredi. À côté de toi, le petit Toto, pour son premier match en première, sort sa tenue toute propre préparée la veille par maman. Il te rappelle toi plus jeune, tu souris bêtement et l’encourages.

Les lieux sont vite embaumés par cette iconique odeur de camphre qu’on aime tant. On tombe les sourires. Dans son coin, ton troisième ligne se momifie. Pas question de se faire les croisés une quatrième fois. La poubelle se remplit de rouleaux de strap. Olive, ton soigneur, badigeonne de baume du tigre le dos déjà écarlate de ton talonneur, faisant onduler au rythme des massages les formes généreuses de ce dernier. Quelqu’un te tape sur l’épaule. C’est Flo, celui qui remonte tout le temps ses manches pour laisser apparaître son tatouage maori à l’épaule. Il vient te demander si tu n’as pas une clé. Après tout, il a plu il y a quatre jours, mieux vaut mettre les fers. 

On commence à se chercher du regard. Les épaules tournent, les phalanges craquent. On échange des clins d’œil. Le silence laisse place à la mélodie des crampons qui martèlent le sol, avant d’être interrompue par la sempiternelle question : "les gars, quelqu’un a vu les ciseaux ?!" Des bruits sourds résonnent derrière la porte des douches. C’est le rite inviolable des premières lignes, qui se préparent à la mêlée à grands coups de casque. Vient ensuite l’instant solennel de la remise des maillots. Le protège-dents entre les doigts, la bougeotte aux jambes, tu attends impatiemment ton numéro, alors que ton coach marmonne un petit mot à chacun. Puis finalement, tu enfiles ta tunique. Te voilà invincible.

14h30 : les arrières sortent gambader, laissant les gros, en petit comité, apprendre à compter jusqu’à dix. En cinq minutes, le coach a pour mission de les transformer en serial killer. Puis, les corps rougis par les claques, ils partent à l’échauffement avant de revenir quelques minutes avant le coup d’envoi pour le bouquet final. 

14h55 : cette fois, on est dans le vrai. Le souffle court et en sueur, tout le monde se réunit en cercle pour un moment hors du temps. Ton capitaine prend la parole. Petit rappel géographique : "on est chez nous, les gars !" Derniers détails stratégiques : "si ça tombe, on y va à quinze ! Et on reste serrés !" Sans oublier un petit mot pour les remplaçants : "quand vous rentrez, vous faites la différence !" Et puis il y a le fameux "premier plaquage"… Ah, ce premier plaquage ! Cette cartouche assassine qui hante tes pensées, et que tu oublies aussitôt une fois le coup d’envoi donné... C’est souvent la même chanson, mais tu t’en fous : ton capitaine, tu le suivras jusqu’au bout du monde.

Certains pleurent sans trop savoir pourquoi, d’autres crispent les mâchoires, prêts pour la croisade du dimanche. Et puis soudain : le signal. Le coup de sifflet tant attendu retentit depuis le couloir, laissant à peine le temps pour un dernier cri de guerre. L’un après l’autre, les 23 soldats sortent pour livrer une guerre sainte de 80 minutes, ne laissant derrière eux qu’un tube de ventoline errer au milieu des rouleaux de strap, dans le silence religieux d’un vestiaire vide…

Merci à Yannis Dom pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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  • benny
    15373 points
  • il y a 7 ans

Le moment de délivrance pour moi c'était le coup d'envoi. Je faisais tout pour qu'il ne m'arrive pas dans les bras...

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