INTERVIEW. Pression, insultes, formation, un arbitre amateur témoigne pour faire avancer le débat
L'arbitre en photo n'est pas celui qui témoigne. Crédit photo : Flickr Rugby Club Arpajon Veinazès
Les récents événements liés à l’arbitrage en Top 14 ont permis d'évoquer la pression que subissent aussi les arbitres amateurs dans les différents Comités français. Un arbitre amateur a voulu témoigner.

Bonjour, pourriez-vous présenter en quelques mots ?

Bonjour, je m’appelle Pierre, j’ai 37 ans, je suis arbitre stagiaire, c’est ma troisième année d’arbitrage. J’ai d’abord été joueur puis entraîneur amateur en France et au Japon. Et je suis maintenant un "putain d’enculé" d’arbitre.

Pourquoi ne pas donner votre nom complet et le nom de votre comité ?

Même si évidemment, avec les informations données avant, je peux être facilement identifiable, je ne désire pas mettre mon club et mon Comité dans l’embarras par ce que j’ai à dire…

Pourquoi nous avoir contactés ?

D’abord, je tenais à réagir par rapport à l’affaire de Monsieur Salem Attalah, je trouve que les propos tenus par Monsieur Bernard Jackman sont intolérables. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que si de tels propos sont diffusés à la télévision et ne sont pas punis, nos conditions d’arbitrage le week-end vont se dégrader à vitesse grand V.
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Il ne faut pas croire, les joueurs amateurs et tout particulièrement les jeunes quand ils voient que des entraîneurs, journalistes ou autres joueurs déclarent leur mécontentement, voir leur "irritement" à l’encontre des arbitres, à la télévision, nous le dimanche ça va être de plus en plus difficile… Car ils vont prendre exemple sur eux et nous pourrir à chaque match, c’est très dangereux.

"Dangereux", vous n’exagérez pas un peu ? 

Selon moi, nos conditions en tant qu’arbitre se dégradent d’année en année, mais même s’il y a toujours eu des altercations plus au moins virulentes entre les arbitres et les autres, ça a toujours été de l’exceptionnel. Maintenant, chaque année, dans presque tous les Comités de France, des arbitres se font agresser verbalement, mais aussi physiquement. Mais ce n’est pas ça le pire, j’ai l’impression que de plus en plus, les instances dirigeantes font tout leur possible pour atténuer les problèmes ; même parmi les référents arbitres et autres grosses pointes du sifflet… Moins il y a de problèmes, moins on les dérange, plus ils sont contents…

Mais que subissez-vous exactement ? 

Avant de répondre à votre question, je voudrais vous dire ceci, certes, je ne suis pas vraiment vieux mais à mon époque durant l’école de rugby, je n’ai jamais entendu un vilain mot provenant de mes coéquipiers et de moi-même à l’encontre de l’arbitre, jamais. Évidement, à la fin de la rencontre dans le vestiaire ou dans le bus, on le critiquait, parfois même on se moquait de lui mais jamais (oui j’insiste) rien d’insultant. Sur le terrain, tout ce que disait l’arbitre faisait foi, même si on ne comprenait pas vraiment certaines choses, on baissait la tête et on se plaçait selon la décision de celui-ci. Bien sûr on ronchonnait parfois mais pas sur la décision de l’arbitre. Car pour nous, c’était paroles d’évangile.

De nos jours, insulter l’arbitre c’est devenu un sport national, à chaque match, je me fais insulter, au début c’était très dur, débutant dans l’arbitrage, je prenais vraiment mal les insultes car évidemment, je pensais que ça venait de moi, que je devais vraiment être mauvais sur le terrain (je le suis peut-être hein ! (Rires) mais après avoir vu d’excellents arbitres officier et se faire tout autant conspuer (voire pire) que moi, cela m’a vraiment permis de relativiser…même si parfois, ça fait très mal…

Les plus virulents, c’est toujours les vieux briscards, ceux qui ont du mal physiquement à la fin de la rencontre comme ils voient qu’ils ne suivent plus, ils attaquent verbalement l’arbitre qui est une cible facile pour compenser leurs faiblesses physiques. Parfois, même avec les pénalités pour contestation et autres cartons, cela ne suffit pas toujours à les calmer.

Le plus triste, c’est avec les cadets, c’est à peu près toujours le même schéma : le début se passe bien, puis les entraîneurs commencent à critiquer, à littéralement gueuler à propos de l’arbitrage et suite à cela, les conditions sur le terrain se dégradent petit à petit et les jeunes commencent à sortir des vilaines choses plus ou moins discrètement.

Autant avec les vieux briscards, cela me touche plus vraiment, mais de la part de jeunes, j’avoue que ça me fait beaucoup souffrir car je suis arbitre mais aussi père de famille…

Mais on ne vous a jamais agressé physiquement ?

Dans les réunions de Comité, on a toujours entendu de parler de collègues qui se sont fait secouer mais bon, cela ne nous touche pas vraiment sauf quand ça arrive à nous…

Oui, il y a quelques semaines de ça, j’assistais à un match première d’un championnat territorial auquel j’avais officié durant le match réserve, un spectateur d’un certain âge s’est jeté sur moi et m’a poussé violemment contre un grillage, tout de suite ça s’est envenimé mais au final, je m’en suis très bien sorti et pas de coups ont été échangés. Mais j’ai eu réellement très peur et j’ai continué à trembler durant de longues minutes après.

Vous savez je suis un ancien joueur, je me suis déjà pris (et j'en ai déjà donné) des marrons durant un match mais c’était durant le feu de l’action. Là, comme spectateur, se faire agresser physiquement pour si peu, cela m’a beaucoup choqué.

Qu’est ce qui s’est passé ? Vous n’avez pas porté plainte ?

Non, je n’ai pas porté plainte car je n’ai pas reçu de coup directement, évidemment j’ai tout raconté à mes responsables mais ils ont jugé que comme j’avais réagi et que comme cela ne concernait pas directement mon match, l’affaire en resterait là.

Pour en revenir à mon histoire, c’était un match tendu, l’ambiance dans ce stade était vraiment affreuse. Évidement comme toujours, c’est l’arbitre qui recevait le courroux des joueurs, des entraîneurs, des dirigeants et surtout des spectateurs. Les insultes fusaient dans tous les sens, je n’en avais jamais entendu d’aussi hideuses. Vous savez, j’en ai assisté à des matchs, il y a même des fois où il y a une certaine bonne ambiance dans la critique à l’encontre de l’arbitre. Mais là, dans ce match-là, je ne ressentais que de la haine, de la vraie haine. Un moment, des vilaines choses ont été dites à propos de la couleur de peau de l’arbitre, là dans ma tête j’ai dégoupillé. J’ai osé dire "Ohh" à un spectateur et l’attaque fut instantanée… Je pense honnêtement que l’agresseur ne savait pas (enfin je l’espère) que j’étais l’arbitre de la réserve mais même en ne le sachant pas, sa réaction a été plus que disproportionnée. Enfin bref, je n’aurais pas dû réagir, cela me servira de leçon.

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Pourtant, c’est étonnant que si peu d’arbitres témoignent sur ce sujet ?

Oui et non, vous savez dans le milieu de l’arbitrage, ce n’est pas tout rose non plus, les responsables veulent avoir le moins de soucis possible le dimanche et les arbitres, le plus de matchs possible… On nous traite assez souvent "de commercial" sur le terrain, et parfois ce n’est pas faux. En effet, même si les primes de matchs n’ont rien à voir avec le football, les 60€ de prime par match (territorial) plus le défraiement à 39 centimes le kilomètre ainsi que le péage remboursé, c'est un vrai coup de pouce financier pour les jeunes et ceux aux faibles revenus comme moi. Donc, forcément, la grande majorité d’arbitres veulent en enchaîner le plus possible et pour être désigné régulièrement, il faut être bien vu par nos responsables.

Donc pour être bien vu de ses responsables, on essaye de les déranger le moins possible et forcément de se faire très discret sur le terrain… Vous voyez où je veux en venir ? 

Il ne faut pas croire, il y a de la concurrence, il y aura toujours plus d’arbitres que de rencontres à arbitrer, chaque club doit au minimum en avoir un, donc le calcul est vite fait vu qu’il faut deux équipes pour jouer un match. Par contre, ce qui est nouveau, ce sont les grands turnovers à chaque saison, il y a de moins en moins d’anciens. Les arbitres fatigués par les conditions déplorables sur le terrain arrêtent de plus en plus tôt.

Donc, des jeunes à former reprennent le flambeau mais on ne devient pas un bon arbitre dès les premiers matchs, il faut être accompagné, bien être formé, beaucoup étudier et gagner de l’expérience Et comme les expérimentés quittent le navire de plus en plus tôt, on se trouve avec une situation où il y a de plus en plus débutants dans l’arbitrage… Ce qui ne sera jamais une bonne chose pour les équipes.

La jeunesse de la majorité des arbitres serait l’une des causes des insultes que les arbitres reçoivent ?

Quand je dis jeune, je me suis mal exprimé mais plutôt jeune arbitre, car vous voyez, j’ai commencé à arbitrer à 34 ans… (Rires)

Non, mais c’est vrai que la formation est primordiale, mais à part pour quelques jeunes très prometteurs, il y a peu voire pas de suivi des débutants. Je ne pense pas que ça soit voulu, mais tout simplement, il n’y a pas assez d’arbitres formateurs par rapport au nombre de débutants et c’est très malheureux. Mais bon comme je l’ai dit précédemment, on pourrait être le meilleur arbitre du monde, on se ferait quand même insulter, car c’est le reflet de la société actuelle et c’est ça qui fait vraiment peur. 

Alors, sans un changement de la société, les arbitres se feront toujours insulter ?

En effet, en l’état, je pense que si la situation des Français en général se dégrade, sur les terrains, ça sera de pire en pire…

Mais, je crois qu’en réalisant quelques changements globaux sur l’arbitrage dans notre sport, on pourrait faire changer le courant.

Voici ce que je proposerais :

  • D’abord, tolérance zéro sur le comportement des joueurs, dirigeants, entraîneurs qui dénoncent les arbitres auprès des journalistes. Si les autorités compétentes ne sont pas intransigeantes là-dessus, la situation sur les terrains amateurs ne s’améliorera jamais.
  • Deuxièmement, aucun arbitre stagiaire ne devrait aller seul arbitrer. La solitude, c’est le plus grand danger de l’arbitre. Même si logistiquement compliqué, les Comités devraient faire l’effort de faire accompagner tous les arbitres stagiaires à chaque match par un arbitre confirmé disponible ou à la retraite ou encore par un directeur de match non assigné… Cela apporterait beaucoup plus de sérénité au jeune arbitre et je vous assure que sur le terrain, il se sentira plus à l’aise et donc sera plus performant.
  • Troisièmement, il faut que les joueurs arrêtent de croire que nous, arbitres territoriaux, on a le même niveau que les arbitres à la télé et qu’on va les arbitrer pareil. Ça va sûrement en choquer plus d’un mais, les arbitres officiant en Top 14 et en Pro D2 ont les compétences, l’expérience et le niveau physique pour le faire, pas nous. De plus, les règles ne sont pas les mêmes selon les catégories, donc ce n’est techniquement pas possible d’arbitrer des équipes à "petits niveaux" comme chez les pros.
  • Quatrièmement, il faut plus communiquer, mettre en avant les arbitres de haut niveau, le fait de faire porter un micro aux arbitres de champs a fait du grand bien à notre activité. Cela a permis à tout passionné de ce sport à découvrir l’homme derrière le sifflet. Je ne pense pas que cela a été mis en place dans ce sens mais en finalité ce micro est un vrai plus. Mais cela ne suffit pas, les journées de "tous arbitres", c’est bien aussi mais, il faut encore plus de communications de la part de la FFR. Je pense que la bonne couverture médiatique des arbitres de haut niveau ne viendra qu’à partir du moment où ils se seront professionnalisés.
  • Cinquièmement… J’aimerais si vous le permettez, profiter de mon temps de parole pour soumettre un projet que j’ai en tête depuis longtemps…

Quel est ce projet ?

Voilà avant d’arbitrer du rugby qui est mon sport préféré, je suis passé un temps à l’arbitrage en football américain. Même si évidemment, tout n’est pas rose non plus, le respect des arbitres y est comme dans mes souvenirs, vraiment présent. Et j’ai remarqué qu’ils avaient une vision de l’arbitrage qui pourrait s’adapter au rugby. Au football américain, en France, généralement, les matchs sont arbitrés par 5 arbitres.

En simplifiant au maximum, on a un arbitre de champ, le chef (celui avec une casquette blanche) et 4 arbitres "club" qui se partagent les autres rôles. En effet, chaque club, doit pour chaque rencontre proposer deux "arbitres clubs" qui est désigné et parfois même ils sont défrayés…

Bref, seul l’arbitre de champ est désigné par la fédération, les arbitres clubs sont proposés par les équipes au jour le jour. Les arbitres de club sont formés durant une grosse journée formation et c’est tout. Leur équipement est apporté par les différentes équipes dans un grand sac et c’est les équipes qui les gèrent et les lavent.

Durant les jours de match, les arbitres doivent tous être présents entre 2h30 et 3h00 avant la rencontre. On profite de cette arrivée en avance pour réaliser une conférence de match. En plus de son rôle d’arbitre de champ, le désigné de la fédération doit avant chaque rencontre rabâcher les règles fondamentales grâce à des feuilles imprimées d’un Powerpoint et rappeler les positions de chacun.

Certes, ça semble compliqué comme ça, mais ce qu’il faut savoir que dans la grande majorité des clubs, les arbitres clubs ne connaissent que très vaguement les règles, voire pas du tout. Alors qu’au début, ils ont accepté le poste d’arbitre club pour dépanner, certains à force d’arbitrer et à assister à ces conférences de match prennent plaisir à arbitrer et certains même deviendront par la suite arbitre de champ…

Mon idée serait de créer un nouveau statut dans le rugby, fini les LCA, on créerait le poste d’arbitre de touche club. Chaque club qui se présentera à un match devra être accompagné par un arbitre et celui-ci devra arriver au plus tard 1h30 avant le coup d’envoi et sera accueilli par l’arbitre de champ. Après les salutations et avant la rédaction de la feuille de match, l’arbitre désigné devra tenir une conférence dans son vestiaire où il reviendra sur ce qu’il attend de ses arbitres de touche et reviendra avec eux sur des règles de bases et donnera ses consignes et les recommandations pour le bon déroulement du match.

Vous verrez que si mon projet abouti, les clubs, les joueurs, les dirigeants, devront être plus proches des arbitres et qu’au fil du temps l’image des arbitres n’en sortira que grandi. Car je suis convaincu que si les joueurs, les dirigeants et les entraîneurs apprennent à respecter les arbitres, en voyant les efforts que font ces derniers pour bien préparer leurs matchs, l’ambiance sur le terrain changera en positif.

Mais vous pensez vraiment que c’est réalisable avec tous les soucis financiers et logistiques que subissent les clubs récemment ?

Oui, je le pense grandement, car ce n’est pas un gros investissement financier mais plus une gestion d’effectif. Il y a toujours plus de dirigeants nécessaires sur un terrain que de postes disponibles. Il suffirait donc que le club désigne ces personnes qui ne demandent qu’à s’investir plus, leur fournissent une tenue d’arbitre club (qui devra être pareil pour tous) et pourquoi pas envisager un petit défraiement ?

De la part du comité, il faudrait que chaque arbitre de champ soit équipé de drapeaux électroniques et pour l’arbitre de venir 30 minutes plus tôt…

Tout le monde s’en trouverait gagnant, l’arbitre de champ ne sera plus seul sur le terrain, des dirigeants pourront se rendre utile pour leur club ; les clubs pourront profiter d’un arbitrage plus rigoureux et les comités auront moins de problèmes de match à gérer. Je suis convaincu que c’est la solution miracle pour sauver l’arbitrage amateur.

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C'est toujours intéressant d'entendre les hommes de l'ombre s'exprimer. Bien sûr l'expérience de cet arbitre n'est qu'une expérience personnelle, ce qui lui est arrivé et son ressenti sur l'arbitrage et les conditions qui vont avec n'ont pas valeur de vérité absolue. Mais cela permet de savoir que cela existe, pour les supporters, pour les joueurs, et même pour ceux qui consacrent leur weekend à arbitrer et qui ont la "chance" d'avoir des conditions plus normales.

Par contre je voudrais juste faire une remarque à Pierre si jamais il passait lire les réactions à son interview, au sujet de son agression en tribunes : "Enfin bref, je n’aurais pas dû réagir, cela me servira de leçon"... non, jamais. Celui qui a tort, celui qui n'aurait pas dû, celui qui aurait besoin d'une leçon ce n'est pas vous mais celui qui lève la main sur une personne juste parce qu'elle ose lui rappeler qu'une enceinte sportive est un lieu de respect. Et c'est bien parce que trop peu de gens ont les valeurs et le courage nécessaire pour faire ce que vous avez fait que les comportements irrespectueux se propagent parfois en tribune.

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